Rencontre avec Charlotte Bonnet (Olympique Nice Natation), leader de l’équipe de France féminine de natation auréolée de deux nouveaux titres de championne de France sur 100m et 200m NL, assortis de deux records personnels et de deux tickets individuels pour les Championnats du monde de Budapest. L’élève de Fabrice Pellerin revient avec nous sur sa semaine strasbourgeoise, ses méthodes d’entrainement, sa technique en crawl, ainsi que sur ses ambitions pour les mois et années à venir.
Tu réalises des Championnats de France quasi parfaits, avec deux qualifications individuelles sur 100m et 200m NL pour les Mondiaux, en établissant deux nouveaux records personnels (1.55.80 sur 200m, 53.65 sur 100m). Sur 200m, ton épreuve de prédilection, la difficile barrière des 1min56s est donc enfin franchie !
Mon premier chrono à 1min56s datait des Championnats du monde de 2013 (1.56.63), cela commençait à faire long ! Cette barrière, j’y pensais depuis longtemps, c’est une bonne chose de le faire sur ces championnats. Je l’avais annoncé publiquement comme un objectif, j’avais vraiment à cœur d’y parvenir.
Maintenant, comme l’a dit mon entraîneur (Fabrice Pellerin), nager sous les 1min56s c’est super, mais ça ne signifie pas encore grand-chose au niveau international. J’espère que ce 1.55.80 est l’annonce d’autres chronos encore plus rapides pour la suite.
Pensais-tu nager aussi vite sur le 100m ?
Je pensais pouvoir nager sous mon ancien record (53.80), mais pas nécessairement descendre si près du record de France de Malia Metella (53.49), qui en plus a été réalisé en combinaison polyuréthane. Ce 53.49, je l’ai bien entendu en tête. D’ici la fin de ma carrière, c’est clairement un objectif.
Le 200m reste ta course favorite ?
Oui, mais je n’ai jamais négligé le 100m pour autant, une course que j’apprécie de plus en plus. Toutefois, au niveau international, c’est compliqué pour moi de rivaliser, parce que les filles font 10cm et 15 kilos de plus que moi ! (Rires) Les vraies spécialistes sont encore bien plus explosives que moi, sur le départ notamment. Le 100m et le 200m sont deux épreuves qui me tiennent à cœur. Je continuerai à les travailler conjointement.
Sur 200m, qu’est-ce qui explique qu’après trois saisons à chercher la solution, tout fonctionne maintenant, sur ces Championnats, et que tu parviennes à nager sous les 1min56s ?
J’ai 22 ans, c’est encore jeune, il me manquait sans doute de la maturité par rapport à la gestion du stress et des compétitions. C’est quelque chose que j’ai vraiment travaillé récemment de mon côté.
Aussi, j’ai découvert de nouvelles sensations à l’entraînement, à cause, ou plutôt grâce à une blessure, une déchirure à la cuisse en février. J’ai été pas mal handicapée pendant un mois et demi, du coup j’ai dû m’entraîner uniquement sur les bras. Ça m’a permis de redécouvrir ma technique, d’explorer des pistes que je n’exploitais pas assez auparavant.

Fabrice Pellerin (entraineur de Charlotte Bonnet à l’Olympic Nice Natation) : « Nous avons travaillé sur de nouvelles modalités de nage à l’entraînement. Suite à sa blessure à la cuisse, nous avons dû réinventer sa manière de nager. Nous avons fait de cette difficulté une opportunité. Concrètement, nous avons fait évoluer son profil de nage d’un modèle séquencé au tempo lent vers une nage « à la Pellegrini », avec un tempo élevé davantage basé sur l’endurance de force. Nous avons également orienté le travail à sec pour accompagner cette évolution, de façon à « athlétiser » Charlotte dans le sens de cette nouvelle motricité, pour qu’elle puisse acquérir l’endurance de force nécessaire. Charlotte est parvenue à assimiler ces changements en quelques semaines et à les mettre en application au bon moment. Avoir passé le cap symbolique des 1min56s est important pour elle, cela va lui donner un nouvel élan de confiance et de nouvelles ambitions encore plus haut placées au plan international. Désormais, elle sait qu’elle est capable de nager très vite. C’est une nageuse jeune qui a encore des marges de progrès dans bien des domaines et qui peu à peu avance ses pions pour se positionner dans la lutte vers les médailles mondiales, avec Tokyo 2020 en point de mire. »
Fabrice nous as parlé de l’évolution de ta nage en crawl ces derniers mois. Peux-tu nous décrire ces changements avec tes mots à toi ?
Ces dernières années, je nageais avec un « boitage », avec un bras droit plus fort que le bras gauche, qui tractait beaucoup plus d’eau. Le problème, c’est que ce style ne me projetait pas complètement vers l’avant, j’avais tendance à sautiller sur l’eau, cela créait des résistances. Cette année, j’ai découvert quelque chose de plus fluide, de moins saccadé, avec moins de sautillements parasites, et plus de propulsion par l’avant.
Concrètement à l’entraînement, comment s’est passée cette évolution ?
J’ai été contrainte par ma blessure à nager uniquement en pull/élastique pendant deux semaines sur la totalité des entraînements. C’était un peu répétitif, j’avais les bras tétanisés dès le début des séances, mais je me suis habituée, je me suis adaptée. Habituellement, quand on a mal au bras pendant les séries, on peut compenser par les jambes, pour détourner la difficulté liée à la douleur. Là, je n’avais pas cette possibilité, j’étais obligée de forcer encore plus sur mes bras si je voulais suivre mes partenaires d’entraînement devant. C’est ça qui m’a fait franchir un cap, gagner en fluidité, en relâchement. Après avoir forcé pendant des semaines presque uniquement sur les bras, lorsque l’on a relâché le kilométrage, j’avais l’impression de voler. Cette blessure a vraiment été un mal pour un bien.
Avant même ta blessure, vous aviez décidé de travailler différemment avec Fabrice, notamment en réduisant le volume kilométrique.
Cette année, de septembre à décembre, on a nagé maximum 4.5km par séance. J’avais pris un mois et demi de pause après les Jeux, je n’ai repris que fin septembre, je ne voulais pas réattaquer sur de grosses séries. Ça ne nous a pas empêché de progresser, puisque j’ai fait de très bons chronos en petit bain au mois de novembre.
Ensuite on a embrayé sur un gros cycle à partir de janvier, mais tout de même avec un kilométrage réduit par rapport aux années précédentes. Les séances faisaient environ 6km, alors qu’en 2012, par exemple, c’était systématiquement 7km, 14km tous les jours.
Avec Fabrice, à l’entraînement, on est plus souvent dans la qualité que dans le volume. Moi ça me suffit amplement. J’aime les séries très intensives, avec très peu de repos. C’est un modèle de préparation qui me convient.
Tu aurais un exemple de série type « très intensive » à nous donner ?
Dernièrement, une série m’a marquée : 8x50m départ 45s, meilleure moyenne possible, nagés entre 28s et 29s, le tout 3 fois. Quand tu termines le premier bloc, tu n’en peux déjà plus, et il faut repartir pour les deux autres ! (Rires) Le but de ce genre de série est de reproduire des allures de course de 200m. Sinon, on fait souvent des séries de 100m à allure progressive à vitesse 200/400m. Par exemple, des 8x100m progressifs de 1 à 4, en démarrant sur une base assez rapide et en terminant presque à fond.
Pour expliquer tes récents progrès, tu as aussi évoqué un important travail mental. Qu’est-ce qui t’a poussé à le faire et qu’est-ce que cela a changé pour toi ?
Le décès de Camille (Muffat) a été un gros choc pour moi. J’ai eu comme un blocage, je me suis renfermée un peu sur moi-même. A l’entrainement, j’avais parfois de gros passages à vide.
J’ai mis du temps à enclencher cette démarche, parce qu’elle n’est pas forcément facile à assumer, mais depuis septembre dernier, je vois régulièrement une psychologue. Depuis, ça va beaucoup mieux. Grâce à son regard extérieur, j’ai réussi à extérioriser beaucoup de choses, à libérer tout ce que j’avais gardé en moi. Pour ma vie de sportive et ma vie de femme, son apport est aujourd’hui essentiel.
Revenons maintenant sur la suite de la saison. Budapest va arriver très vite, seulement 7 semaines nous séparent de l’échéance. Dans quel état de forme es-tu arrivée ici à Strasbourg et comment vas-tu gérer la suite de ta préparation ?
Honnêtement, je ne pense pas avoir été à 100% de ma forme cette semaine, même si j’étais en excellente condition. Maintenant, il reste encore du travail. Sept semaines c’est court, mais j’ai encore pas mal de petites choses à travailler, pour encore progresser. Notamment en me confrontant dans des compétitions de niveau international, sur les étapes du Mare Nostrum de Canet et de Monaco, où le niveau sera relevé, avec les Australiennes, les Japonaises, en plus des Européennes, et puis l’Open de France à Chartres.
Nager aux Championnats de France, avec la pression des qualifications, le public, les médias, c’est toujours difficile à gérer. D’autant que je ne voulais pas me contenter de réaliser les minimas, je m’étais fixé des objectifs chronométriques plus personnels. Je m’étais moi-même mis un stress supplémentaire que je n’aurai pas à Budapest, où j’aurai juste envie de m’éclater, de nager vite pour entrer en finale et faire de mon mieux possible pour me rapprocher du podium, sans barrière chronométrique en tête.
Quels sont les détails qui vont te permettre de progresser encore et d’aller jouer des médailles internationales sur des Championnats du monde ou aux Jeux ?
Je dois encore progresser dans ma manière d’appréhender le stress. Ça va également se jouer sur les petits détails techniques comme le plongeon ou les coulées. Avec Fabrice, on fait très attention à ça, on est très vigilants sur mes coulées pendant les séries, on focalise beaucoup d’attention là-dessus. Ce sont des éléments que je vais continuer de peaufiner d’ici Budapest. Et puis continuer mon travail mental avec ma psy, car dans ce domaine également il y a toujours des choses à travailler, même lorsque l’on pense que tout est au point.
La période est un peu compliquée pour l’équipe de France A, avec les nombreux arrêts de carrière post-olympique, la méforme de certains leaders. Il n’y aura cette année aucun relais féminin qualifié aux Mondiaux en nage libre. Comment vis-tu cela ?
Ça me pose un problème dans le sens où parmi les non-qualifiés se trouvent des personnes avec lesquelles je partageais beaucoup lors des compétitions ou des stages en équipe de France.
Pour ce qui concerne les relais, je suis partagée. Ils m’ont permis de vivre des émotions incroyables avec des nageuses qui sont devenues des amies très proches au fil des années. J’ai donc très à cœur de les disputer, mais encore faut-il qu’ils soient compétitifs. Aujourd’hui, le 4x200m est à reconstruire avec de nouvelles nageuses. Et pour le moment, malheureusement, notre collectif n’est pas compétitif au niveau mondial, où la densité est très forte. A l’avenir, il nous faudra plusieurs nageuses sous 1min59s pour aligner un relais performant. Idem sur le 4x100m, il nous faudra quatre filles sous les 55s pour exister au plan international.
Sur 200m, tu n’as pas réellement de concurrence au niveau français. En course, cela te convient ou préférerais-tu avoir quelqu’un à tes côtés à la bagarre dans la dernière ligne droite ?
Faire ma course tranquille devant sans éléments perturbateurs, c’est une bonne chose. Ce qui m’a peut-être manqué en finale du 200m c’était une fille dans ma vague qui aurait pu me pousser dans le final. C’est aussi pour combler ce manque que je vais disputer plusieurs meetings internationaux dans les semaines qui viennent, pour la confrontation directe.
Pour finir, question bonus, pourquoi continuer à systématiquement inscrire une épreuve de brasse à ton programme alors que tu ne travailles pas cette nage ? Pourquoi cette affection pour cette discipline ?
(Rires) Quand je fais une série de brasse à l’entraînement, j’ai très mal au dos, donc je n’en fais plus du tout, sauf sur les séries en 4N. J’ai nagé le 100m brasse cette semaine, c’était un pari risqué, sans entraînement, c’est toujours une épreuve douloureuse. Mais il me fallait une course avant d’entrer véritablement dans la compétition. Attaquer direct par le 200m NL, je ne l’aurais pas très bien vécu. C’est important d’avoir une course avant mon épreuve de prédilection, faire une chambre d’appel, un start, voir comment sont mes sensations dans l’eau…
La brasse, je la garde aussi dans un coin de ma tête pour le petit bain. Je suis plutôt à l’aise en bassin de 25m, j’ai envie d’essayer de faire tomber le record de France du 100m brasse (1.05.43, par Sophie De Ronchi). Ça sera pour dans un an ou deux, en travaillant un petit peu avant quand même ! J’ai nagé 1min06s dans des conditions médiocres aux Championnats de France militaires en mars. Je pense que c’est un objectif atteignable !
Un grand merci à Charlotte pour sa disponibilité.