A la veille du coup d’envoi des Championnats de France de Strasbourg qualificatifs pour les Mondiaux de Budapest, reportage (vidéo) en immersion au cœur de la préparation de Jordan Pothain et de l’ensemble du groupe élite du NC Alp’38 entraîné par Guy La Rocca.

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Nous sommes à Échirolles, en banlieue grenobloise, un vendredi matin ensoleillé d’avril, à un peu plus de quatre semaines de l’échéance des N1. Le groupe élite du NC Alp’38 entraîné par Guy La Rocca arrive bientôt au terme d’une période très intensive de trois semaines, une phase où tous les curseurs ont été poussés à leur maximum, tant en terme de volume kilométrique que d’intensité, avec du travail spécifique de résistance à allure de course et du travail à sec. « Cela demande un gros investissement physique et psychologique de la part des nageurs, explique le coach. La semaine qui suit sera une semaine de transition, pour se régénérer un peu avant les trois dernières semaines consacrées à l’affûtage où il faudra éliminer toute la fatigue pour arriver au pic de forme la semaine des Championnats de France (23/28 mai 2017). »

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La phase finale d’affûtage est ajustée en fonction des individualités du groupe et de leur spé. Au fil des ans, Guy La Rocca a développé une certaine routine d’affûtage avec Jordan Pothain qui lui permet d’optimiser au mieux sa préparation. « Selon son état de fatigue, il a besoin de 10 à 14 jours pour récupérer complètement. Sur cette période, le kilométrage descend à 8/10 km par jour au lieu de 13/14km habituellement, ce qui est relativement peu pour un nageur de 400 m. Mais toujours sur la base de deux séances quotidiennes, pour continuer à passer du temps dans l’eau et conserver les sensations. »

Pour 2017, le calendrier a été modifié. Les Championnats de France d’ordinaire disputés début avril ont été programmés fin mai, soit moins de deux mois avant l’échéance internationale des Mondiaux de Budapest (23-30 juillet). « Il faudra arriver aux N1 avec un niveau de forme très élevé. Les minimas pour les Championnats du monde sont très difficiles (3.47.43), Jo’ n’a nagé plus vite qu’une seule fois dans sa carrière, en séries des Jeux Olympiques de Rio. Le chrono réalisé aux N1 de Montpellier en avril 2016 (3.47.77) serait insuffisant. Cela dit, ce n’est pas tant le repère français qui nous importe. On observe ce qui se passe au niveau international, et cela nage déjà très vite pour une année post-olympique ! » On dénombre en effet déjà cinq nageurs sous les 3min45s cette année, dix sous les 3min47 ! Guy La Rocca ne cache pas ses ambitions : « Aux N1, on ne veut pas seulement se qualifier. On veut déjà placer un pion sur l’échiquier mondial. »

Les objectifs de l’entraîneur s’affichent également à plus long terme, avec Tokyo 2020 en point de mire. « J’ai un point de repère chronométrique, son record personnel (3.45.43). Comment l’améliorer ? J’ai élaboré un temps, que je garde pour moi, même Jo’ ne le connaît pas, et nous mettons en place une stratégie à l’entraînement pour y parvenir. » Dans cette optique, Guy La Rocca ne souhaite négliger aucun détail du 400m : « Il faut avoir conscience qu’un dixième de gagné par 50m, c’est presque une seconde à l’arrivée ! On travaille donc sur une multitude de petits détails techniques, du frottement de la main au moment de la pénétration dans l’eau au placement de la tête dès le plongeon, tout y passe. J’appelle ça de la chirurgie. »

En 2016, le binôme avait développé une stratégie de course qui avait conduit le nageur grenoblois en finale olympique. « Cette expérimentation sur la stratégie est toujours en cours. Mais attention, il faut veiller à ne pas dénaturer Jo’, ne pas chercher à systématiquement imiter les autres. À très haut niveau, la tendance est à l’équilibre quasi parfait sur 400m. Jo’ a tendance à partir naturellement vite, il a une grosse vitesse de base, il faut veiller à entretenir cet atout. Partir plus lentement pour en garder sous le pied, je ne suis pas sûr que cela corresponde à son modèle. »

L’explication est d’abord d’ordre technique. Jordan Pothain décrit lui-même volontiers sa nage comme « un déséquilibre constant ». Guy La Rocca emploie une autre métaphore particulièrement évocatrice : « S’il décélère, s’il perd de la vitesse, à la manière d’un motard, il perd l’équilibre, l’inertie de nage. C’est pourquoi il est nécessaire pour lui de partir vite sur son 400m et de travailler la résistance sur le deuxième 200m, pour éviter la chute, conserver l’efficacité propulsive. »

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Alors que Jordan enchaîne les longueurs de bassin sous nos yeux, Guy La Rocca nous décrit sa nage avec précision. « Jo’ a besoin de s’équilibrer avec un fort roulis des épaules. C’est ce dégagement avec les épaules qui ressortent très haut au-dessus de la surface, avant même que le coude ne sorte, qui lui sert d’équilibre. C’est une caractéristique qui lui est propre et que nous souhaitons optimiser, en cherchant à réduire les résistances parasites au maximum. Avec des collègues entraineurs de l’équipe de France, on a essayé de le faire nager le bassin à plat, mais on a rebroussé chemin, car on a constaté qu’il perdait son efficacité vers l’avant. »

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Cette technique de nage « atypique » qui fait sa force a toutefois encore des inconvénients. Pour le moment, sa faculté à accélérer la fréquence de nage est encore limitée. « En finale olympique, c’est lui qui donne le moins de coups de bras. Il a donc une efficacité propulsive hors norme, mais il doit progresser dans sa capacité à changer de nage, à diminuer la pression sous l’eau pour emballer la course dans le final. »

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Outre sa technique de nage, l’autre qualité mise en avant par Guy La Rocca chez son nageur est sa force mentale, sa détermination sans faille. « Ce qui m’impressionne, c’est qu’il est capable d’être à 100% pendant tout l’entraînement, deux fois par jour, tous les jours de l’année. Je pense que c’est ce qui fait vraiment sa force, cette motivation intrinsèque. Moi je lui propose des choses à l’entraînement, des mises en situation, et c’est à lui d’en faire ce qu’il en veut. Il ne le fait jamais à moitié. C’est la marque des athlètes de très haut niveau, parvenir à s’engager pleinement d’un bout à l’autre de chaque séance, tous les jours, sans exception. Sa progression, il la doit vraiment à cette capacité de répéter les efforts à un très haut niveau d’intensité. De ce point de vue, en termes d’investissement à l’entraînement, il est un leader exemplaire pour le reste du groupe. »

Nous sommes particulièrement frappés par la grande variété de la séance proposée. Une impression confirmée par Damien Chambon, le manager général du Nautic Club Alp’38 : « Guy n’est pas un habitué des énormes blocs. Tous ses entraînements sont hyper variés, le temps passe vite ». Et effectivement, ce sont déjà 7km qui ont été parcourus par les nageurs grenoblois. Guy La Rocca tient tout de même à tempérer : « Bien sûr, cela nous arrive aussi de faire des 20x100m départ 1 minute 20, ou même à certains moments de l’année des 30x200m. Certaines séances sont composées uniquement d’un échauffement, d’une série où l’on travaille la répétition, puis de la récupération ».

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Le fil rouge de la séance du jour ? Mettre en difficulté les nageurs en leur imposant des contraintes et en leur laissant toute latitude pour trouver leurs propres solutions. Il s’agit par exemple d’une série de 100m au cours desquels le second 50m doit être systématiquement nagé plus rapidement et avec une fréquence plus élevée que le premier [vidéo ci-dessous]. Ou encore ce jeu sur les sensations dont Guy La Rocca sait à l’avance qu’il plaira peu à Jordan Pothain : « Là, ils vont repartir sur un 300m jambes avec palmes, l’appui sur les jambes va être différent. Et juste après, ils devront enchaîner sur un 3x100m progressifs de 1 à 3. Je cherche à provoquer une perte d’appui et ce sera à eux de reconstruire derrière. Un gars comme Jo’, il a horreur de ça. Au premier 100m, il va me dire qu’il ne sent rien ». Le pronostic s’avérera particulièrement juste : après avoir vainement négocié le retrait des palmes sur le dernier 100m du 300m, Jordan tentera de retrouver ses marques en effectuant des jambes sur place avant le départ du 3x100m. « Je le connais par coeur », s’amuse son coach. « On pourrait voir ça comme de l’insubordination, mais c’est aussi notre façon de fonctionner. On voit qu’il n’a rien du nageur passif qui se contente d’appliquer ce que lui dit son coach, il est toujours à la recherche de quelque chose ».

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Obtenir de ses nageurs cette indépendance d’esprit est un objectif avoué pour l’entraîneur grenoblois : « Je veux que l’athlète construise son projet et s’empare de l’entraînement. Quand on part sur un 3x50m progressif comme tout à l’heure, je ne donne pas de chrono avant la série. Jo’, il aurait pu décider de partir en 29’’ puis de faire 27’’ et 25’’, et de se reposer sur ces quatre secondes d’écart entre le premier et le dernier. Mais il choisit de partir en 26’’, pour faire ensuite 25’’ et 24’’. Il n’a que deux petites secondes d’écart, mais il est allé beaucoup plus vite. Et au fond, est-ce qu’on essaye d’accélérer de 0 à 80 ou de 120 à 200 ? C’est aussi dans ces moments-là qu’il tire les autres nageurs du groupe vers le haut. »

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Un groupe très éclectique puisqu’aux côtés de Jordan Pothain évoluent des spécialistes de toutes les nages : Delphine Dulat en crawl, Clara Brisfer en crawl et en papillon, Janik Guégan et Benjamin Sirvent en papillon, Alexis Plassas et Flavien Lacheteau en dos ainsi qu’une petite cohorte de brasseurs parmi lesquels Auréane Devaluez, Lucas Dufayard et Dylan Servent. Une situation qui nécessite une bonne dose d’organisation et de souplesse : « Je suis constamment en train de jongler, c’est vrai que c’est une difficulté. Là, j’ai calculé la série pour que les brasseurs terminent juste au moment où les autres s’apprêtent à commencer. Ça peut parfois être un peu éprouvant nerveusement, mais c’est le quotidien des clubs. »

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Avec tous, Guy La Rocca s’efforce de fonctionner de manière individualisée. « Lorsque je récupère un nageur, j’observe d’abord sa technique, son propre modèle. Je ne souhaite pas stéréotyper les nageurs en leur imposant un geste technique particulier, je pense qu’il est très important de s’adapter aux caractéristiques morphologiques et à la souplesse de chacun. Mais il y a tout de même un modèle sur lequel je ne transige pas : celui de l’efficacité sur chaque mouvement ». Et le technicien n’hésite pas à réorienter certaines de ses recrues : « Le cas de Janik Guégan est intéressant. Jeune, il a eu de bon résultats en dos et s’est spécialisé dans cette nage. Mais ces dernières années il ne parvenait plus à progresser. Morphologiquement et physiologiquement, il me semblait tout à fait adapté au 200m papillon, nous avons donc décidé de tenter le coup sur cette épreuve, avec succès puisqu’il s’est qualifié aux N1.»

Ce souci d’adapter au mieux l’entraînement aux qualités de chacun l’a conduit à rompre avec quelques certitudes qui avaient accompagné ses débuts dans le métier d’entraîneur : « Aujourd’hui, je ne vous ai pas parlé de seuil, d’aéro, de lactique…Évidemment, les exercices vont provoquer la sollicitation de telle ou telle filière. Mais désormais, je mets l’accent sur l’exercice, la contrainte que je souhaite voir appliquer. Je ne suis pas le nez sur le bouquin en train de me dire « Alors le seuil, c’est X 100m avec Y s de récup’ ». Je l’ai fait autrefois. J’ai fait faire un test de 2000m à David Maître, spécialiste de 50m. Un gars qui passait 22s dans l’eau…J’avais rentré tous ses temps intermédiaires et ses coups de bras dans le logiciel et j’avais obtenu un joli tableau avec les moyennes sur 100m etc. Mais 2000m, ça ne correspondait en rien à son geste sur le 50m. Ça ne servait à rien du tout. On utilisait également des ceintures cardio, en disant qu’il fallait que le nageur soit à 140 de pulse. Mais qu’est-ce que cela veut dire ? Que celui qui est à 120 n’en fait pas assez, et celui à 160 trop ? Cela dépend de la physiologie de chacun.»

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La séance touche à sa fin. Dans le bassin, les nageurs évoluent par petites grappes, discutent entre eux en effectuant des jambes à faible intensité. Une fois de plus, carte blanche leur a été laissée pour gérer les 700 derniers mètres comme ils l’entendent. « C’est le « social kick », un concept cher aux Américains ! Un moment où les nageurs peuvent échanger entre-eux. Ça participe aussi à la dynamique du groupe. »

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Outre Jordan Pothain, qui visera une qualification individuelle pour les Mondiaux de Budapest, six autres nageurs du NC Alp’38 prendront part aux Championnats de France de Strasbourg cette semaine : Clara Brisfer, Auréane Devaluez, Lucas Dufayard, Delphine Dulat, Janik Guegan, Dylan Servant et Benjamin Sirvent.

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