I
Rencontre avec Joris Bouchaut (Dauphins TOEC) à l’occasion de la deuxième étape du Circuit Golden Tour à Marseille. Très en verve en ce début de saison en grand bassin, le demi-fondeur nous dévoile ses objectifs sportifs, les évolutions de son entrainement à Toulouse, et nous livre également son regard sur l’eau libre et la couverture médiatique de la natation.
I
Tu sembles plutôt en forme en ce début d’année 2017. Dans quel état d’esprit et de fraicheur te présentes-tu sur ces meetings de pré-saison ?
Nous n’arrivons pas frais sur ces meetings. C’est toujours frustrant de se dire au départ d’une course que ça va être dur dans l’eau. Les compétitions où l’on se présente avec un état de forme optimal sont plutôt rares dans la saison ! Mais on a envie de venir se confronter, parce qu’on s’entraine avant tout pour nager en compétition.
Ma première sortie en grand bassin cette saison, c’était en décembre à Amsterdam, juste après les Mondiaux de Windsor en petit bain. J’avais déjà fait des temps corrects. Ensuite, il y a eu une petite coupure pour les fêtes, et la reprise d’un gros travail à l’entrainement début janvier. On a attaqué l’étape Golden Tour de Nice (début février) pas du tout préparés, dans l’idée de donner le maximum malgré la fatigue. Personnellement, j’ai pu constater au fur et à mesure des années que même fatigué j’arrivais généralement à faire de bons temps, à rester régulier au fil de la saison. A Nice, comme ici à Marseille, cela s’est confirmé. Dans mon groupe, je suis celui que s’en est le mieux sorti, avec des chronos auxquels je ne m’attendais pas forcément. C’est cool, mais l’important sera d’être performant aux Championnats de France fin mai.
Cette saison s’inscrit pour toi dans la continuité de 2016, année où tu as progressé chronométriquement sur tes distances fétiches ? Ou bien, une fois évacuée la frustration de ne pas t’être qualifié aux Jeux de Rio, dans ta tête, une nouvelle page s’est tournée ?
Le fait que ma progression se poursuive se voit davantage à l’entrainement qu’en compétition, malheureusement pour moi. En 2016, j’ai fait une très grosse saison à l’entrainement, avec des chronos, des séries, des semaines où la fatigue se faisait sentir et où j’arrivais quand même à m’en sortir. Il y a des indicateurs qui me laissent penser que j’ai progressé. Mais je n’ai pas réussi à concrétiser en compétition.
Psychologiquement, j’essaye de tourner la page. Ne pas me qualifier pour Rio était une grande déception pour moi. Dans les jours, les semaines qui ont suivi, j’étais un peu démotivé. Je me posais même la question de savoir si j’allais suivre les Jeux ! Et puis j’ai fini par tourner la page, à parvenir à me dire que ce n’était que de la natation. Je suis rentré chez moi en Guadeloupe pendant l’été, j’ai fait un break de deux mois. J’ai regardé les Jeux et je les ai vécus comme quatre ans auparavant, il n’y avait plus rien de dramatique. J’ai pris plaisir à voir Jordan Pothain se qualifier en finale olympique (sur 400m NL), à voir Damien Joly battre le record de France (du 1500m). Je suis vraiment content pour eux, pour la natation française.
Aujourd’hui, à l’entrainement, je suis dans la continuité de l’an dernier. Tout ce que j’avais mis en place ne m’a pas servi à rien. Même si tout n’a pas fonctionné en compétition, on sait que j’ai réussi à progresser à l’entrainement. Il faut s’appuyer là-dessus pour continuer, faire plus. Mine de rien, ce sont ces progrès qui me permettent aujourd’hui de m’entrainer mieux, plus fort, plus souvent.
I
I
Hors de l’eau, es-tu accompagné par un préparateur mental ?
Après la déception des Championnats de France de Montpellier, je me suis remis en question à tous les niveaux, autant psychologique que physique. Et je me suis dit que ça pourrait être bien de faire des séances de préparation mentale. Du coup, j’ai désormais des rendez-vous réguliers avec la psychologue du CREPS (Centre de Ressources, d’Expertise et de Performance Sportive) de Toulouse Midi-Pyrénées, de façon à mieux me connaître, à savoir ce dont j’ai besoin au quotidien. Je crois qu’on avance progressivement, c’est un point essentiel, aussi important que ce qu’il se passe dans l’eau.
Tes objectifs se situent aux Championnats de France de Schiltigheim fin mai, dans l’optique de te qualifier pour les Mondiaux de Budapest…
Oui. Comme chaque année, si le programme le permet, je vais m’aligner du 200m au 1500m NL, avec l’objectif de me qualifier aux Championnats du monde sur 800m et 1500m, et de faire mes meilleures courses possibles sur 200m et 400m.
Et puis il est vrai qu’avec le départ à la retraite de plusieurs anciens de l’équipe de France, il pourrait y avoir la possibilité d’accéder à une finale A sur 200m NL. Si c’est possible, je ne vais pas m’en priver. Forcément, même si ça n’est pas mon objectif principal, je serais ravi de faire partie du 4x200m français, mais ça ne serait que du bonus !
Tu as regardé les minimas pour Budapest ?
Au 800m (minimas : 7.51.19), je ne suis qu’à une seconde, mais cela reste un chrono très difficile, je n’ai nagé 7.52 qu’une fois dans ma vie. Ici à Marseille, pas reposé, j’ai nagé 7.58, ça montre que c’est possible. Mais tout reste à faire.
Sur le 1500m (minimas : 15.01.97), l’an dernier il fallait nager 14.57 pour se qualifier aux Jeux. C’était mon objectif, je me sentais capable de m’en approcher très près. Je pense que cette année, l’objectif de nager 15.01 est réaliste (le record de Joris est actuellement de 15.07.41, il vient de nager 15.10.62 à Marseille).
I
I
A Nice au mois de janvier, on t’a vu performant notamment sur 200m et 400m NL, avec l’impression que tu avais gagné en vitesse, en tonicité… Est-ce quelque chose que tu as spécifiquement travaillé ? Est-ce une évolution naturelle ? Par le passé, tu donnais l’impression d’avoir plus de mal à véritablement changer de rythme…
C’est totalement vrai, je le ressens assez fréquemment à l’entrainement. J’arrive plus facilement à mettre des jambes, à avoir une nage davantage axée sur un style « 200m ». Avec mon entraineur, Philippe Miomandre (qui prend le relais de Lucien Lacoste, bientôt retraité), entre autres choses, on essaye de mettre en place un travail sur l’utilisation de mes jambes. J’ai été moi-même surpris de voir que j’arrivais à nager un 200m avec de la vitesse. Même sur un 400m, j’arrive à voir que je peux partir un peu plus vite. Je pense que c’est aussi dû à une petite révélation que j’ai eue l’an dernier sur le 200m des Championnats de France, où je réalise 1.49.80, un excellent temps pour moi. Ça a fait un petit déclic : « Tiens, je suis peut-être capable de nager vite au 200 ! »
A propos de l’entrainement, quels sont les repères dont tu parlais tout à l’heure qui te font penser que tu as passé un cap ?
Par exemple, en janvier dernier, le weekend des Championnats de France du 5km indoor, je n’ai pas pris part à la compétition, mais j’ai nagé un 5km de mon côté à l’entrainement, avec un très bon chrono à l’arrivée, 55.27.05. C’était la première fois que je nageais si vite aussi longtemps, à 1.06 de moyenne au 100m. Un autre exemple, des séries de 10*100m « niveau 3 », départ 1.10 : je les tiens désormais beaucoup plus facilement, en nageant 1.00/1.01 par 100m. Bien sûr, ça dépend de la période, des jours, de l’état de fatigue.
I

Temps de passage et analyse statistique du 5km indoor réalisé à l’entrainement pas Joris Bouchaut le 28 janvier 2017. (Source : Joris Bouchaut)
I
L’an dernier, avec mon ancien entraineur Lucien Lacoste, on visait les 100km par semaine de travail, et on ajustait en fonction des cours, de la fatigue, parfois on nageait un peu plus, parfois un peu moins. On faisait trois semaines sur cette base, puis une semaine à 80km, avec une compétition le weekend. On a fait ça pendant trois cycles d’un mois avant les Championnats de France. Cette année, on est dans la continuité, on reproduit ce modèle dans les grandes lignes. Cette semaine, avec le meeting de Marseille le weekend, on a donc nagé 80km. Après, forcément, on doit s’adapter, parfois la compétition tombe la 5ème semaine, donc ça rallonge un peu le cycle.
Qui sont les nageurs qui t’accompagnent dans tes séances de demi-fond à Toulouse ?
A Toulouse, il y a un pôle France divisé en deux groupes. L’un s’entraine avec Philippe Miomandre, l’autre avec Walter Monberge. Philippe s’occupe des demi-fondeurs, et dans ce groupe des demi-fondeurs, il y a encore deux sous-groupes, les « vrais » demi-fondeurs qui font du 800/1500, et ceux qui font plutôt du 200m, qui sont encore jeunes et qui ont besoin de faire du volume kilométrique.
Dans mon groupe à moi, nous sommes seulement trois, avec Mathis Castera qui fait du 1500m et du 4N, et Geoffrey Renard qui fait du 400m 4N. C’est vrai que ce n’est pas un très gros groupe, mais on se tire la bourre. Il y a des séries où il ne faut pas dormir. Surtout que ce sont deux nageurs de 4N, quand on fait autre chose que du crawl, je prends cher ! (Rires) Ils sont aussi très bons en crawl, il y a toujours une émulation qui se crée. Après, je n’ai pas nécessairement besoin d’avoir des gens autour de moi pour bien m’entrainer. Il m’est arrivé de faire de très bonnes séries tout seul, c’est quelque chose que je sais faire. Même si sur la durée, je crois qu’il est important d’avoir des partenaires, parce que des fois on sature. On va se parler franchement, parfois, au milieu d’une séance, on n’en peut plus. Dans ces moments-là, avoir un groupe qui te soutient, c’est appréciable.
I

Lorys Bourelly, Jonathan Atsu et Joris Bouchaut (de gauche à droite, Dauphins TOEC) au départ des séries du 200m NL du Meeting Open Méditerranée de Marseille.
I
Pour performer en demi-fond, il ne suffit pas d’accumuler les kilomètres, il y a aussi du travail technique. Avez-vous recours à l’observation vidéo ? Y a-t-il des nageurs desquels vous vous inspirez au niveau international ?
Nous étions récemment en stage à Tenerife. Là-bas, nous avons utilisé la « Flume », un bassin de 10m avec un courant contraire qui permet de faire des analyses vidéo et de travailler des points techniques. Mis à part ça, on fait beaucoup de travail de nombre de coups de bras par 50m. On sait que nager vite passe par une grande distance parcourue par cycle de bras, on bosse là-dessus. Par exemple, je ne vais pas le cacher, j’ai revisionné la finale du 400m de Nice et j’ai compté les coups de bras de Jordan Pothain, pour comparer.
Il ne s’agit pas de chercher à copier qui que ce soit. Je sais comment Park Tae-Hwan nage, à l’inverse, je sais comment Gregorio Paltrinieri nage, il y a des modèles différents. Il faut savoir se situer, s’inspirer, chercher à tendre vers un modèle et adapter la chose à soi.
Ce travail technique comment se matérialise-t-il ?
Parfois, le coach nous fait nager 10*50m au « niveau 3 », en 28s avec pour consigne de ne pas dépasser 29 coups de bras. En fin de série, quand tu es dans le mal, ça peut devenir compliqué. On fait souvent ce type d’exercice à l’entrainement, je crois que c’est très utile.
L’eau libre attire de plus en plus de nageurs de natation course. Tu nous as dit être à l’aise sur des séries très longues, est-ce que cette discipline pourrait t’attirer à l’avenir ?
J’ai vu que Paltrinieri avait l’intention de s’y mettre ! Personnellement, en arrivant au pôle France de Toulouse en 2012, j’ai intégré le groupe « demi-fond/eau libre », avec Charlie Cuignet, Sébastien Fraysse, toujours détenteur du record de France du 5km indoor (52.57.85), Ophélie Aspord, qualifiée aux Jeux en 2012. L’eau libre, c’est une façon de fonctionner particulière, il faut accumuler des kilomètres et des kilomètres. Côtoyer ces nageurs m’a inculqué cette nécessité de toujours s’investir à 100% dans l’entrainement.
J’ai testé la compétition en eau libre une fois en 2013 aux Championnats de France à Canet en Roussillon. Je ne suis pas fan. L’eau était à 18°C, ça m’a laissé un goût amer. Vraiment, je ne peux pas. Dans de l’eau chaude, en Guadeloupe, ça passe ! (Rires) Sérieusement, je ne pense pas que je pourrais m’adapter, ça demande beaucoup d’ajustements, c’est très différent du bassin. J’ai un énorme respect pour les nageurs d’eau libre. Je les envie un peu. Quand je vois Marc-Antoine (Olivier) capable de décrocher une médaille olympique sur 10km et de faire de bons 400m en bassin, ça m’impressionne. Mais ça n’est pas pour moi.
I
I
Que penses-tu de la couverture médiatique de la natation, et plus particulièrement du demi-fond, qui a tendance à passer un peu au second plan derrière les épreuves de sprint ?
La couverture médiatique de la natation n’est pas très importante de manière générale. On ne peut pas se vanter de faire des millions de téléspectateurs chaque weekend. Bien entendu, les sprinters qui ont réalisé de très grandes performances sur 50m, 100m, 4x100m méritent tout ce qui leur arrive, même si parfois je peux être un peu jaloux, parce qu’on passe beaucoup plus de temps qu’eux dans l’eau ! (Rires).
C’est vrai que nous les nageurs de demi-fond avons une faible exposition, mais il faut avouer que l’on n’avait pas fait grand-chose d’extraordinaire jusqu’à présent. Sébastien Rouault avait bien eu d’excellents résultats (double champion d’Europe sur 800m et 1500m à Budapest en 2010), mais il était resté dans l’ombre des sprinters. Forcément, on a envie nous aussi d’être un peu sous le feu des projecteurs, en récompense de tous les sacrifices que l’on fait. Bien entendu, on ne nage pas non plus pour faire la une de L’Équipe, mais si on pouvait faire un peu plus attention à nous, il est vrai que ça serait plus gratifiant ! Je suis super content que Damien (Joly) ait pu réaliser cette finale olympique avec un très beau record de France, ça montre que l’on est là, le demi-fond français, et qu’à l’instar d’autres nations, comme l’Italie ou l’Australie, on est capable de réaliser quelque chose de grand sur ces épreuves.
Pour 2017, ton objectif est de réussir de beaux Championnats de France et de te qualifier aux Mondiaux de Budapest. Est-ce que tu te projettes à plus long terme sur l’ensemble de l’olympiade avec Tokyo 2020 en ligne de mire ?
La natation est un sport olympique, on vit pour les Jeux olympiques, il est forcément difficile de ne pas penser à 2020. Surtout que je ne me suis pas qualifié en 2016… On a un peu ce rêve, cette envie de découvrir à quoi tout ça ressemble vraiment. 2020, j’y pense donc, mais je dois avouer que ça n’est pas non plus quelque chose qui me hante chaque jour. A l’entrainement actuellement ce sont vraiment les Championnats de France qui me motivent, pour réussir à performer là-bas. Bien entendu, j’espère qu’il y aura Budapest derrière, et même pourquoi pas les Universiades (en aout 2017, à Taipei, Taïwan), une compétition que je n’ai jamais eu l’occasion de faire. J’aimerais voir à quoi ça ressemble, j’aimerais vivre ce genre de compétition omnisports, avec un village réservé aux sportifs, une communion entre les athlètes venus du monde entier !
I
I
On a évoqué des nageurs comme Park ou Paltrinieri positionnés tout en haut de la hiérarchie mondiale du demi-fond. A ton niveau à toi, est-ce que leurs chronos te paraissent atteignables un jour ou est-ce que ça te semble un monde à part ?
C’est vrai que vu de là où je suis, 15.07 sur 1500m, il faudrait que je gagne 30s pour atteindre leur niveau. Il y a trois ans, je nageais déjà 15.08. Donc gagner 30s en 3 ans sur un 1500m, même si je sais que je peux progresser, ça sera compliqué. Battre le record de France de Damien Joly (14.48.90) sera déjà un objectif de taille ! Après, je crois aussi que l’on vit le sport pour rêver, et des fois, je rêve, je me dis : « Pourquoi ne pas aller en finale olympique ? » C’est ça l’objectif à long terme. Pour l’instant, je ne m’y vois pas, mais je pense qu’étape par étape on pourra peut-être y arriver un jour. Je m’y accroche à ce rêve. Je m’y accroche vraiment.
Le record de France est donc l’objectif chronométrique que tu te fixes pour l’avenir ?
Avant les progrès de Damien (Joly), j’avais en tête les 14.55 de l’ancien record de France de Sébastien Rouault, je me disais qu’il fallait qu’on arrive à battre ce record. Damien l’a porté à 14.48, il est bien descendu ! Aujourd’hui, pour moi, dans un premier temps, l’objectif est de passer sous les 14.55. Mais je ne peux pas savoir de quoi demain sera fait. Ce que je sais, c’est que je m’entraine énormément et fort pour nager le plus vite possible. Mon objectif est d’être prêt pour les prochains Championnats de France, pour y réaliser le meilleur chrono possible.
Merci à Joris Bouchaut pour sa disponibilité pendant le Meeting de Marseille. Le rendez-vous est pris pour les Championnats de France de Schiltigheim !
Super ces entretiens avec les nageurs ! On voit que chacun vit la natation avec son style, sa manière. En tout cas, respect pour le mental et l’investissement de Joris qui, je l’espère, sera à Budapest.