A l’occasion du meeting Golden Tour de Nice, nous sommes allés à la rencontre d’Anna Santamans, en pleine période de travail avec le CN Marseille en vue des échéances de l’été 2017. A la sortie d’un 100m papillon éprouvant, la multiple championne de France du 50m NL est revenue avec nous sur ses objectifs sportifs, les évolutions de sa technique de nage, ses méthodes d’entrainement, mais aussi sur les courants ressentis par les nageurs lors des récentes compétitions internationales.
Photos : N1nside (Meeting Golden Tour de Nice – 4&5 février 2017)
L’étape Golden Tour de NIce marque le véritable coup d’envoi de la saison 2017 en grand bassin. Comment vas-tu gérer ta préparation, avec des Championnats de France (Schiltigheim du 23 au 28 mai) programmés cette année plus près de la compétition internationale objectif (Mondiaux de Budapest du 23 au 30 juillet) ?
L’objectif est d’avoir deux moments forts, mais le but sera d’être au top aux Mondiaux au mois de juillet. Tout de même, nous arriverons en bonne forme et totalement frais aux Championnats de France, parce que les temps de qualif sont loin d’être faciles. Si l’on veut être très bons aux Mondiaux, on ne peut pas être à 100% huit semaines avant aux « France ». Le délai entre les deux compétitions reste court, nous aurons trois ou quatre semaines de travail, mais pas aussi intenses que celles que nous vivons et que nous allons vivre en préparation des « France ».
Est-ce que tu te projettes sur le long terme avec l’échéance olympique de Tokyo 2020 en point de mire ou seulement sur l’année 2017 ?
Tokyo parait encore loin. En natation, nous avons la chance de disputer une compet’ internationale chaque année. Pour le moment, je pense surtout aux Championnats de France, et aux Mondiaux de Budapest, si je me qualifie. Mais c’est vrai que pour moi, cette année est une année de changement. Avec Romain (Barnier, son entraineur au CN Marseille depuis septembre 2016), on a attaqué du travail différent de ce que je faisais avant. Je prends les mois qui viennent comme une période d’adaptation aux conditions d’entrainement. Bien sûr, j’espère faire de bons temps et je pense que j’en suis capable. Mais l’objectif final est d’être vraiment performante dans quatre ans. Et peut-être avant, je l’espère bien ! (Rires)
Comment est-ce que tu te fixes tes objectifs sportifs ? As-tu en tête des barrières chronométriques ? On pense évidemment au record de France de Malia Metella (24.58)…
Le record de France, je suis à un centième, j’espère donc vraiment le battre. Après, pour cette année, je ne me pose pas trop de questions, je ne sais pas trop ce que les changements vont donner. Ce qui est certain c’est qu’à terme, avec Romain, on a pour projet de se rapprocher des meilleures mondiales. Disputer une finale de Championnat du monde grand bassin, ça serait déjà beau, et puis ensuite viser un « top 5 », ça reste envisageable. Je pense qu’en travaillant quelques points techniques dans le 50m, en renforçant beaucoup mes jambes, il y aura moyen d’accrocher ces filles.
Justement, est-ce que tu regardes un peu ce qui se fait chez les meilleures mondiales sur le plan technique et au niveau de l’entrainement ?
Je m’intéresse beaucoup aux méthodes d’entrainement utilisées ailleurs. L’année dernière j’avais envisagé un temps de partir aux Etats-Unis, mais j’ai fait le choix de rester en France, j’ai besoin de rester proche de ma famille. Il y a là-bas des méthodes d’entrainement qui m’intriguent, comme celles de Michael Andrew (Champion du monde petit bassin 2016 sur 100m 4N à seulement 17 ans), qui s’entraine très peu en termes de volume kilométrique, mais qui est capable de nager un 200m 4N en 1.59 et tous les 100m à un super niveau. On a fait des essais dans ce sens à l’entrainement en début d’année, j’étais assez réceptive à ce genre de séance, ça m’a bien plu. Ça m’intéresse d’essayer de piocher un peu à droite à gauche, pour voir ce qui peut être amélioré, comment les meilleurs s’y prennent pour aller plus vite.
J’ai énormément admiré Therese Alshammar pour sa longévité (la Suédoise multiple médaillée mondiale a participé six fois aux Jeux Olympiques !), sa capacité à rester au top niveau pendant des années, jusqu’à près de 40 ans. J’aime aussi beaucoup Nathalie Coughlin (sprinteuse américaine double championne olympique du 100m dos), qui est super forte sous l’eau. En plus d’être des nageuses exceptionnelles, ces filles sont super sympa, très abordables, j’aime vraiment échanger avec elles. Je citerais aussi Pernille Blume (la Danoise a remporté le titre sur 50m aux Jeux de Rio), qui était venue s’entrainer à Nice en 2013. On avait fait des compétitions ensemble, elle aussi est très forte sous l’eau. J’ai été vraiment impressionnée de la voir nager si vite à Rio. Surtout qu’elle avait arrêté de s’entrainer pendant trois mois l’année précédente, qu’elle n’avait plus très envie de nager. Elle avait fini par s’y remettre en se disant : « Pourquoi pas ? » Elle a bien fait !
A l’époque où tu étais minime, tu nageais bras tendus en crawl, puis tu es passée à un retour de bras « coudes pliés », pour finalement te reconvertir au modèle qui était le tien au départ. Peux-tu nous parler de ces évolutions techniques ?
En fait, quand j’étais en minimes à l’UN Arles, je m’entrainais avec Mathieu Burban qui est maintenant coach au CN Marseille. C’est lui qui avait changé ma technique pour passer sur du « bras tendus », pour avoir plus de grandeur de mouvement, prendre un peu plus d’eau. Il faut dire que j’ai toujours nagé pas mal en force. Même quand j’étais plus jeune, que je n’avais pas énormément de muscles, ma nage était axée sur la force, avec de gros appuis. Ensuite, en arrivant à Nice, avec Fabrice (Pellerin), naturellement on est repassé « coudes pliés ». On faisait principalement des entrainements en aéro, bras tendus c’était difficilement tenable. Au fur et à mesure, lorsque je suis passé dans le groupe de Maxime (Leutenegger), on s’est rendu compte que je moulinais beaucoup sur un 50m, mais que je ne prenais pas beaucoup d’eau par rapport à certaines filles à côté de moi qui mettaient beaucoup moins de coups de bras et qui me battaient. On s’est dit qu’il fallait faire quelque chose, et tenter de revenir à ce qui avait bien fonctionné par le passé, pour voir comme ça se passait. C’est comme ça que je suis revenue aux « bras tendus » en sprint. Sur du 100m, c’est un peu plus dur à tenir, parce que ça me demande beaucoup d’investissement, que j’ai du mal à respirer tous les quatre temps en faisant du « bras tendus ». On a fait des tests à l’entrainement cette année avec Romain, j’ai vraiment du mal à le tenir sur de la nage plus aéro, et même sur de la résistance, donc on a décidé de s’orienter vers du « coudes pliés » pour le 100m, et de ne conserver le « bras tendus » que sur 50m, là où il fonctionne parfaitement.
En « bras tendus », tu dis être capable de mettre plus de force, quitte à avoir une fréquence légèrement moindre ?
J’ai une fréquence à peu près égale à celle de toutes les autres filles, mais contrairement à d’autres plus j’avance dans le 50m plus je peux me permettre de diminuer la fréquence, en prenant beaucoup plus d’eau à chaque passage de bras, ce qui me permet malgré tout de continuer à accélérer tout au long du 50m. Généralement, je remonte mes adversaires sur le deuxième 25m, qui est bien meilleur que celui des autres nageuses au niveau français mais aussi au niveau international. On le voit en compétition, je ne ressors jamais devant, je prends souvent une bonne « mine » sur le départ, et puis ensuite je fais une sorte de « course poursuite » pour revenir dans le deuxième partie de course, là où ma vitesse est complètement lancée. Une fois que ma nage est placée, là, ça va tout seul ! (Rires)
C’est donc davantage la première partie de course que tu vas maintenant essayer de travailler avec Romain Barnier, pour opérer les changements dont tu parlais…
On s’est dit que sur le deuxième 25m, pour le moment, il y avait juste à entretenir les qualités et que le plus gros à gagner se trouvait sur l’enchainement « plongeon/coulée/reprise de nage ». On l’a vu hier (en finale du 50m NL du meeting de Nice) à côté de Mélanie (Hénique), et je l’ai senti, dès le début, j’étais derrière. Ensuite, il faut remonter, et comme il n’y a que 50m en tout, des fois c’est « mission impossible ».
Comment est-ce que vous travaillez concrètement ces points techniques à l’entrainement ?
Pour l’instant, sur les dix semaines de début 2017, on est plus sur un travail d’endurance, mais à partir de la semaine prochaine on va aussi commencer à travailler les ondules en circuit, avec des ondules statiques, avec des poids, des filets qu’on attache aux pieds, un peu comme des grosses chaussettes pour se ralentir et travailler spécifiquement les jambes. Je bosse aussi beaucoup les jambes en salle de musculation.
On va également aborder la question du départ, changer un peu la technique pour avoir une meilleure entrée dans l’eau, modifier l’angle mais aussi tout ce qu’il se passe entre le moment où je pousse et le moment où j’entre dans l’eau qui n’est pas forcément optimal. Comme le dit Romain, on va faire en sorte d’avoir « plus de vie » dans cette phase du départ, qu’il puisse se passer plus de choses hors de l’eau pour que l’entrée se fasse un petit peu plus loin. On a quelques pistes de travail, mais on n’a pas encore vraiment défini ce que l’on allait mettre en place.
L’idée serait de partir dans la direction de ce que fait Mehdy Metella, chercher à partir un peu plus haut ?
Je n’ai pas la force ni la souplesse de Mehdy pour faire ça. Chaque nageur est un peu unique, on le voit même à Marseille, tous les départs ne sont pas les mêmes. Pour le moment, nous avons simplement changé ma façon de bouger avec mes pieds. C’est difficile à décrire, c’est vraiment du ressenti, mais l’entrée dans l’eau s’en trouve déjà améliorée. On va peaufiner ça au fur et à mesure, par petits morceaux, et à la fin, j’aurai peut-être un bon départ !
Avant ta finale du 50m NL (du meeting de Nice), lors de ton échauffement, tu parlais beaucoup technique avec Romain Barnier. C’est fréquent de continuer à faire des réglages juste avant une course ?
Le matin, en séries, j’avais fait ma course à l’instinct, il avait filmé et identifié certains points à améliorer. Le soir, en finale, il souhaitait que je mette certaines choses en place. C’est une compet’ de préparation, le but est de nager le mieux possible, le chrono reste secondaire. Il n’y a pas de pression de résultat, même s’il m’avait dit qu’il fallait que je me mette dedans pour nager le mieux possible et idéalement gagner. Souvent, mes meilleurs 50m je les nage en me concentrant sur la technique. Insister sur la technique, c’est aussi bénéfique dans l’optique de performer.
Tu as changé de structure après les Jeux de Rio en quittant Nice pour Marseille. Es-tu passée à un type d’entrainement différent ou est-ce que les méthodes sont globalement similaires ?
Au départ, l’an dernier, je souhaitais faire un essai à Marseille, pour voir un peu comment ça se passait, mais finalement avec l’année olympique ça a été compliqué de trouver un créneau. Donc à la rentrée 2016 je suis arrivée un peu dans l’inconnu. Mais je savais qu’avec Romain on avait un bon feeling, j’aimais bien discuter avec lui. Quand je suis arrivée, on s’est dit que l’on prendrait les trois/quatre premiers mois pour apprendre à se connaître, voir comment je fonctionne, pour qu’il puisse faire des ajustements en fonction de ses observations lors des entrainements et en compétition. Sur la première partie de l’année, on a donc principalement été sur de l’entretien des qualités. On a fait un peu de technique, peu de volume, l’idée était surtout de s’amuser en petit bain pour reprendre doucement l’année. Après les Jeux, c’est toujours un peu compliqué de recommencer une saison pleine.
Par contre, depuis janvier, là on s’entraine vraiment très dur ! (Rires) Je pense que je ne me suis jamais entrainée aussi dur depuis que j’ai commencé la natation. Les séances dans l’eau ne sont pas extrêmes, j’en ai fait de plus dures par le passé. Mais il y a tout ce qui se passe hors de l’eau, beaucoup plus de travail à sec, beaucoup plus de musculation qu’avant. On a aussi rajouté un peu d’athlétisme pour travailler l’explosivité au départ, je fais du yoga pour m’assouplir un peu, parce que c’est quand même mon gros point faible ! Tout cela prend beaucoup de temps dans la semaine, c’est ce qui fatigue et qui rend les séances dans l’eau plus compliquées.
Ces dernières années, on a vu beaucoup de sprinters polariser davantage leurs entrainements, avec davantage de travail en vitesse maximale, moins d’aéro, et de la nage lente. Est-ce un modèle vers lequel tu pourrais évoluer ?
En ce moment, on est sur de grosses semaines d’entrainement, avec du volume kilométrique et très peu de sprints. C’est volontaire. Vu qu’on a peu nagé fin 2016, il faut « reprendre de la caisse ». L’année 2016 est en plus l’une durant laquelle j’ai le moins nagé, parce que l’objectif était le 50m. Cette année, étant donné que nous sommes un groupe de sprinters qui ambitionnons de faire aussi de bons 100m, il nous fallait quand même repartir sur un peu de volume. Je ne sais pas exactement quel sera le contenu des cycles d’entrainement des mois et années à venir, mais il est certain que j’ai besoin de volume pour tenir un bon 100m jusqu’au bout, c’est important pour moi.
Tu vas donc essayer de davantage concilier 50m et 100m ?
Le 100m va rester moins important que le 50m. Même si c’est une course qui me plait, je sais qu’à l’international ma meilleure course est le 50m. C’est aussi là que je m’éclate le plus. Le 100m, c’est surtout important de le travailler pour le relais. Ce relais 4X100m, il m’a ouvert des finales olympiques, des finales mondiales, des choses que je ne connais toujours pas en individuel. Et puis, il y a toujours une super ambiance, c’est un réel plaisir de commencer une compétition internationale avec cette épreuve au programme. Disputer le 100m en individuel au niveau mondial sera plus compliqué, il y a quand même deux très bonnes nageuses devant, Charlotte (Bonnet) et Béryl (Gastaldello), qui sont pour l’instant inatteignables. Mais j’espère bien me rapprocher !
Pour terminer, aux Jeux de Rio, tu avais déclaré après la compétition avoir ressenti des courants dans le bassin olympique. Peux-tu revenir sur cette problématique qui concerne les systèmes de ventilation des bassins temporaires de plus en plus utilisés en compétitions internationales ?
En arrivant à Rio, je savais que les bassins provisoires Myrtha étaient sujets aux courants. A Nice, je m’entrainais dans un bassin de la même marque, et l’on mesurait à l’entrainement une seconde d’écart entre l’aller et le retour selon le côté du bassin dans lequel on nageait. Lors des phases de coulée, on sentait même des courants venir sur le côté. Aux Jeux, j’ai fait des essais juste avant la compétition. Selon les lignes d’eau d’un côté ou de l’autre du bassin, sur des 15m, j’avais 20 centièmes d’écart entre l’aller et le retour, ce qui est quand même énorme. Sur un 25m les différences étaient du même ordre. En me présentant au départ en séries, je savais que ma ligne n°2 allait être « contre le courant ». A côté de moi, une Brésilienne habituellement régulière sous les 25 secondes nage 25.6, pendant qu’une nageuse quasi inconnue nage sa série à la ligne n°8 en moins de 25 secondes. On pourrait citer d’autres exemples. Même sur le 4x100m NL, on s’en est rendu compte. En séries, on avait le courant avec nous à l’aller, je fais un 100m de folie. Sur le premier 50m, je pars super vite sans même m’en rendre compte, j’étais relâchée, et j’ai pu revenir avec beaucoup de fraicheur. Le soir, en finale, de l’autre côté du bassin, je pars 5 dixièmes moins vite en m’épuisant. La gestion de la course n’était pas du tout la même. Je trouve scandaleux que sur une compétition internationale, avec de tels enjeux, certains aient pu être avantagés pendant que d’autres étaient handicapés. Quand on en parle à la FINA, bien entendu, ils disent qu’il n’y a aucun problème, que des tests le prouvent. J’ai bien conscience que ce que je dis là puisse passer pour de la mauvaise foi, comme la réaction d’une « mauvaise perdante », mais c’est la vérité. Oui, je n’ai pas fait une super course à Rio, mais il est probable que d’autres, qui n’avaient pas fait une super course non plus, ont passé le cap des séries en bénéficiant du courant.
Merci à Anna Santamans pour sa disponibilité. Nous lui souhaitons le meilleur pour la suite de la saison 2017 que nous suivrons de près sur N1nside !