Rencontre avec Jordan Pothain en marge de l’Open des Alpes organisé le week-end dernier par son club, le NC Alp’38. Il revient avec nous longuement sur son incroyable année 2016 qui l’a mené jusqu’en finale olympique sur 400m NL à Rio, mais aussi sur ses perspectives sportives pour l’avenir, les pistes de travail qu’il explore au quotidien avec son entraineur Guy La Rocca, les ressources mentales qu’il mobilise à l’entrainement comme en compétition, ses années de jeune nageur dans l’ombre des meilleurs, ou encore la manière dont il appréhende sa soudaine exposition médiatique. Un regard touchant sur la pratique de la natation à haut niveau.  

 

Tu commences à avoir l’habitude des interviews. Tu sens que tu progresses ou tu en as un peu assez ?

Je sens que je progresse. (Rires) Je commence à être habitué. Mais des fois, c’est un peu redondant. Quand je suis revenu des Jeux, c’était toujours les mêmes questions qui revenaient. Répondre aux interviews n’est pas quelque chose qui me gêne, mais c’est vrai que tous les médias ont tendance à faire un peu la même chose.

On va essayer de se démarquer, mais ça ne sera pas forcément facile sur tous les sujets !

Ça marche !

Nous voudrions revenir sur cette année sportive 2016 qui a été exceptionnelle pour toi. Il y a tout juste un an, tu avais en tête les minimas olympiques, mais ceux-ci étaient encore assez loin de tes records de l’époque, c’était loin d’être gagné d’avance. Comment avais-tu abordé la saison passée, avec cet objectif ambitieux en ligne de mire ?

Je m’en souviens bien, le jour où les minimas qualificatifs pour Rio sont tombés, en septembre 2015, je suis arrivé à l’entrainement et j’ai dit à Guy (La Rocca, son entraineur au NC Alp’38) : « Voilà ce qu’on doit faire dans sept mois pour aller chercher cette qualif. » Il fallait nager 3.46.6 sur le 400m et 1.46.0 sur le 200m. Le 200m je savais que c’était un peu chaud, l’objectif était avant tout d’intégrer le relais 4x200m de l’équipe de France olympique. Par contre, le 400m je voulais aller le chercher, on s’est dit directement que c’était accessible et que je pouvais le faire.

La saison 2016 grand bassin démarre véritablement pour toi en février lors de l’étape du meeting Golden Tour d’Amiens, où en pleine période de préparation tu améliores ton record personnel sur 400m (3.48.40) en partant sur des bases très élevées. La fin de course fut difficile, mais on sentait que tu tenais là un modèle de course capable de te faire réussir les minimas.

C’est exactement ce qu’on cherchait à faire avec Guy. En fait, il y a eu un déclic début 2016 quand je suis parti aux États-Unis pour disputer le meeting d’Austin. Là-bas, j’ai remporté la finale du 400m en mettant en place dans ma nage des choses que je n’avais pas été capable de faire auparavant. J’avais réussi à nager 3.50 alors que je sortais de deux semaines de stage intensives. On a essayé de construire là-dessus. Je savais que j’avais l’habitude de partir un peu trop vite et que mes fins de courses étaient un peu difficiles. Et donc on a essayé de construire mon 400m en le découpant en trois phases : 150 + 150 + 100, avec l’idée de maintenir une allure régulière sur le premier 150m, de relancer sur le deuxième 150m et de finir sur un dernier 100m. Avant j’étais plus sur un modèle « 4x100m », avec un départ rapide et une relance à mi-course. En 2016, on a vraiment travaillé ce deuxième 150m et ça a très bien fonctionné sur ma course des Jeux. Mais il me manque encore cette fin de course.

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Je suis arrivé aux N1 avec les idées bien en place.
Derrière le plot, je savais ce que j’étais venu chercher.

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Si on reprend la chronologie, on arrive aux Championnats de France de Montpellier début avril où tu réalises les minimas B pour Rio sur 400m (3.47.77). Tu améliores aussi significativement ton record sur 200m (1.46.81) pour intégrer le relais 4x200m olympique français. Quel bilan fais-tu au sortir de cette compétition ?

Je savais que les minimas étaient relevés. Dans ma tête les N1 de Montpellier étaient vraiment le point d’orgue de la saison, je ne me projetais pas plus loin que ça. C’était comme un objectif final. J’avais même dit à Guy : « Je pense que je vais avoir besoin d’une coupure après. » Nerveusement, ça avait été un gros investissement. Bon, en vérité, à la fin de la compétition, j’avais juste envie de repartir à fond pour les Jeux. (Rires)

Pour revenir sur ma qualif aux Jeux, tout s’est super bien passé, je suis arrivé en sachant ce que j’avais à faire en me disant : « Avec tout ce que tu as mis en place, tu n’as pas le droit d’échouer. » A aucun moment sur les sept mois de préparation je n’avais douté, c’est uniquement quand on a commencé l’affutage à l’approche de l’évènement que j’ai commencé à me poser plein de questions, je me suis dit : « Ça y est le boulot est terminé, mais est-ce que tu as bossé assez ? » Et puis juste avant de partir pour Montpellier, une petite du club (du NC Alp’38) me dit : « De toute façon, tant que tu donnes le meilleur, c’est cool ». Et là dans ma tête je me suis dit : « Non, en fait, ce n’est pas cool. Au vu de tout ce que tu mets en place tous les jours, tu n’as juste pas le droit d’échouer. » Je suis arrivé aux N1 avec les idées bien en place et en me présentant derrière le plot je savais ce que j’étais venu chercher.

Juste avant ta course, tu n’as ressenti aucune appréhension, tu étais confiant ?

Non, aucune, je savais que je pouvais faire de belles choses. La préparation s’était bien passée, j’avais bossé dur. Dans tous les cas, je devais aller chercher mes meilleurs temps, et je savais que j’avais bossé assez pour combler le trou qui me manquait entre mon meilleur temps et le temps de qualif.

Ça commence fort avec le 200m, en série je nage à côté de Jéjé (Stravius) en en gardant sous le pied et je fais 1.47.0 alors que je nageais 1.48.3. Là, je savais que mon état de forme était optimal. Finalement, en finale je fais 1.46.8, mais je m’attendais à faire beaucoup mieux au vu de la manière dont j’avais géré le matin. Après, il y a eu toute cette histoire de la touche avec Yannick (Agnel), beaucoup de jus perdu. J’ai essayé de gérer, mais je sais que j’ai perdu des cartouches.

Ensuite, le 400m, c’était aussi un premier titre à aller chercher. Avec mes victoires sur les différents meetings, je me présentais comme un potentiel vainqueur, avec une certaine marge sur la concurrence sur le papier. Je n’ai pas réussi à réaliser les minimas directement qualificatifs, mais je savais qu’en décrochant le titre en 3.47 j’aurais ma chance en individuel aux Jeux.

Arrive donc ensuite la préparation olympique, avec une étape aux Championnats d’Europe de Londres début mai. N’est-ce pas un peu perturbant de devoir disputer une compétition internationale à ce moment-là de la saison en pleine préparation pour Rio ?

A ce moment-là, je n’avais disputé qu’une seule grande compétition internationale avec l’équipe de France, les Mondiaux de Kazan en 2015, et seulement en relais. Londres, c’était ma première participation en individuel. C’était donc une compet de préparation sur la route des Jeux, mais qui avait son importance.

Malheureusement, c’est à ce moment-là que s’est déclenchée la mononucléose. Ça a été très violent, je me suis levé un matin avec les yeux éclatés, j’ai vu qu’au bout de deux jours ça ne passait pas, je suis allé directement faire une prise de sang. Par-dessus la mononucléose, j’attrape une angine blanche à Londres. J’ai dû me forcer à m’alimenter pendant trois jours pour être opérationnel pour le relais 4x200m en fin de semaine. Je m’étais présenté aux Euros en me disant de faire avec, je suis plutôt dur au mal, mais ça a été trois jours vraiment durs, à attendre dans ma chambre que le temps passe avant le relais. Je me disais : « Tu manges pour le relais, tu te reposes pour le relais. »

En plus de ça, on avait prévu de repartir fort à l’entrainement en rentrant de Londres. Une fois les N1 terminés, avec Guy, on a pensé directement à la finale des Jeux. Entre les N1 et les Euros, on a fait un gros cycle de travail, avec trois heures passées dans l’eau tous les matins, des séances de dix bornes, ce que je ne fais pas habituellement, pour essayer de travailler le fond. C’est là que la maladie s’est déclenchée. Après les Euros, j’ai passé deux semaines à nager une seule fois par jour, et après je suis reparti à bloc. La maladie, je l’ai finalement vaincue en un mois, ce qui est plutôt rapide. Quand j’ai été diagnostiqué, l’objectif était de la faire disparaitre le plus vite possible, il était hors de question de me laisser abattre par ça.

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Lors du stage terminal à Porto Alegre, je volais sur l’eau, je savais que ça allait marcher.

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Comment se passe la suite de la préparation ? Dans quel état de forme et quel état d’esprit abordes-tu les Jeux ?

J’ai eu le temps de re-bosser sur un gros dernier cycle quand je suis rentré de l’Open de France (début juillet). Une semaine très dure, à m’entrainer seul. J’ai dit à Guy : « On va trop fort. Nerveusement je ne sais pas si je vais tenir jusqu’au bout. » Je sortais des séances très satisfait de ce que je faisais, mais je n’arrivais plus à récupérer. On a vraiment envoyé la sauce dans l’eau, mais je ne regrette pas !

En prenant le train avec Guy pour monter sur Paris avant de décoller pour Rio, on parlait concrètement de ce qui allait se passer là-bas. Et je lui ai dit que je vivrais très mal le fait de ne pas entrer en finale aux Jeux. Je savais qu’il y avait de la concurrence, que cette épreuve était très dense au niveau international. Je savais qu’à 3.46 ça ne passerait pas, qu’il me faudrait nager plus vite que ça.

On avait commencé l’affutage un peu avant le départ pour Rio, et là-bas quand on a été à Porto Alegre pour le stage terminal de dix jours avec l’équipe de France, je volais sur l’eau en fait. Je faisais des séances de malade. C’était royal, les conditions étaient top. En plus, il y avait une ambiance vraiment particulière avec ce rassemblement de l’équipe de France, on savait qu’on allait vivre quelque chose de fort tous ensemble. Il y avait ce relais 4x200m qui était incroyable, quand on sortait de l’eau avec Greg (Mallet) et Lorys (Bourelly) on se tapait dans la main en se disant : « Les gars on va se la chercher cette médaille dans dix jours ! » On décomptait les jours qui nous séparaient de notre objectif commun : « Allez, J-9, J-7 ! » Je volais sur l’eau, je savais que ça allait marcher.

Alors que tu avais peu d’expérience internationale, tu arrives donc aux Jeux hyper solide dans ta tête. Comment expliques-tu une telle réussite pour ta première participation aux JO, malgré l’enjeu et la dimension de l’évènement ?

Nager le premier jour, franchement, c’était une chance, parce que j’ai plongé directement dans le bain, je n’ai pas été influencé par tout ce qui a pu se passer ensuite. Si on voit que certains échouent au début, c’est plus difficile de se mettre dans une dynamique positive. Donc pour moi c’était bien de commencer le premier jour.

Au fil des meetings internationaux que j’avais disputés depuis que j’étais en équipe de France, j’étais toujours parvenu à élever mon niveau, je savais que cette compétition allait me réussir. Et à côté de ça, avant quand on me posait la question : « La natation, c’est un sport difficile, non ? » Je répondais « Oui, mais on adore nager, on fait ce qu’on aime, etc. » Je trouvais que c’était mentir en fait. Parce que bien sûr j’adore ce que je fais, mais à côté de ça, je sacrifie tellement, ma vie tourne autour de la natation. J’en bave tellement que je n’ai pas le droit d’échouer quand j’arrive derrière le plot. Et sur une compet comme les Jeux, je n’avais juste pas le droit de me rater.

Je le vois d’autant plus aujourd’hui avec l’exemple de Dorian Coninx (triathlète grenoblois lui aussi sélectionné à Rio, 36e de la course olympique) dont je suis très proche : j’avais entendu dire que les Jeux pouvaient être très mal vécus quand ils ne sont pas réussis. Je vois aujourd’hui que ce n’est pas facile quand on reparle des Jeux ensemble, il a du mal à en ressortir du positif. Alors que pour moi ce n’est que du bonheur, c’est ce qui me donne envie de revivre ça encore mieux dans quatre ans.

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A l’entrainement, je me mets parfois dans une espèce d’ « état second ».

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Quels sont les leviers que tu utilises dans la gestion mentale de la performance ?

Déjà ça passe par l’investissement au quotidien. Si j’arrivais derrière le plot en me rendant compte que je n’ai pas travaillé assez ou que je n’ai pas mis les bonnes choses en place, je n’y arriverais pas. En fait c’est une rétrospection, quand j’arrive derrière le plot, je repense à tout ce que j’ai investi depuis la compétition précédente : j’ai mis des choses en place entre temps, je dois avoir progressé. Et sur les grosses compétitions, je repense même à toutes les années écoulées et au cumul de tout le travail accompli.

Après, à l’entrainement, je me mets parfois dans une espèce d’ « état second ». C’est un peu particulier à expliquer… Par exemple dans les séries, c’est dur pour le corps, et je vais juste penser à une chose. L’année dernière c’était : « Pour Rio ! » Et cette année c’est : « Pour la médaille ! » Quand ça fait mal, je ne pense qu’à ça, c’est un automatisme. Je ne réfléchis pas à ce qui me fait mal. Et ça arrive parfois qu’au moment où j’arrête la série, je retrouve un peu mes pensées, et j’ai des larmes qui coulent. Je me mets vraiment dans un état particulier. C’est un peu étrange à expliquer, ce n’est pas facile nerveusement, mais je sais que c’est une de mes forces. Je sais aussi que je suis un très bon nageur d’entrainement et que parfois mon niveau de compet n’est pas à la hauteur de ce que je fais à l’entrainement. Mais lorsque j’arrive à la compet, je repense à toutes les étapes, à tout ce que j’ai mis en place au quotidien, et une fois derrière le plot je n’ai pas le droit de me louper.

Tu n’as pas de préparateur mental qui t’accompagne ?

Non. Mais l’an dernier, pour ne pas couper des cours pendant un an avant de reprendre mes études de kiné, j’ai choisi d’étudier la préparation mentale. Ça m’a toujours intéressé, par rapport aux gens que je côtoyais depuis tout jeune. C’est marrant parce que j’avais des exemples en tête pour tout ce que j’étudiais, des cas que j’avais déjà vécus ou vus plus jeune : des gens qui lâchent à l’entrainement, des gens qui lâchent en compet… J’avais un exemple pour tout, c’était très intéressant. Je m’étais toujours posé la question : « Pourquoi est-ce que moi je réussis ? Comment le transmettre aux autres ? » Je voudrais pouvoir le transmettre à mes collègues d’entrainement, mais c’est compliqué. C’est tout cela que je voulais essayer de décrypter avec ces études sur la prépa mentale.

Pour l’instant je ne ressens pas le besoin d’un travail avec un préparateur mental extérieur. Avec cette année d’études, j’ai réussi à mettre des mots sur des techniques que je mettais déjà en place, que j’avais développées tout seul de mon côté. Peut-être qu’à un moment j’aurai envie d’aller trouver d’autres clés, mais pour l’instant je fais mon bonhomme de chemin tout seul.

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En natation, on oublie un peu parfois la notion de collectif, mais en équipe de France c’est galvanisant.
C’est un peu comme les Interclubs, mais démultiplié !

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Revenons sur les Jeux. Tu disais qu’il y avait une grosse émulation dans la perspective du 4x200m avec les nageurs du relais. Que t’ont apporté des nageurs expérimentés comme Gregory Mallet ou Jérémy Stravius dans l’approche et la gestion d’une compétition de cette envergure ? On parle souvent de l’expérience que les plus anciens doivent transmettre, comment cela se concrétise-t-il ?

C’est très particulier, parce qu’en fait avant que je n’intègre l’équipe de France en 2015, ces deux nageurs étaient d’abord des adversaires, et puis ils sont devenus des collègues, des partenaires. Et puis en 2016, avec les Jeux en perspective, ils étaient certes mes partenaires mais je devais les affronter (lors des N1 qualificatifs pour Rio). A côté de ça, Greg c’est quelqu’un qui m’a vraiment soutenu et qui m’a pris sous son aile quand j’ai commencé à intégrer les finales sur les meetings internationaux. Je commençais à affronter du beau monde et il me donnait beaucoup de conseils : « Place-toi ! Ne te prends pas la tête ! » Il fallait que je reste concentré, il était là pour éviter que je me disperse. Et Jérémy, ça a été l’adversité, mais super saine. Je n’ai toujours pas réussi à le battre sur un 200m en confrontation directe !

Une anecdote pour illustrer leur état d’esprit : Greg et Jérem m’ont tous les deux envoyé un texto avant la finale du 200m des N1 en me disant : « Ce soir on se la fait ! » Jérem pensait même que je pouvais aller chercher mon ticket en individuel. On allait s’affronter le soir-même, ils auraient pu me voir comme un adversaire et pourtant ils étaient là pour me soutenir. Greg, je le battais et pourtant il me poussait, me soutenait, parce qu’il avait en lui cette âme du relais et il aurait été prêt à laisser sa place pour que celui-ci soit le plus performant possible. Voilà, il y a ces deux aspects « partenaires » et « adversaires » qui se mélangent, et en tant qu’ « anciens », ils ont vraiment bien joué le jeu pour intégrer les nouveaux.

Porter les couleurs de l’équipe de France c’est quand même quelque chose de particulier qui nous réunit vachement. C’est un peu comme les Interclubs, mais démultiplié ! Cette notion de club, de collectif, on l’oublie un peu parfois en compétition, mais en équipe de France, c’est vraiment galvanisant.

La nouvelle saison a commencé avec les N1 petit bassin d’Angers qui sont arrivés seulement trois mois après les Jeux. Tu es parvenu à te qualifier pour le premier gros objectif intermédiaire de la saison, les Mondiaux en petit bain de Windsor au Canada (6-11 décembre 2016). Avec quelles ambitions et quel état de forme te présenteras-tu à cette compétition ?

En ce moment c’est un peu particulier dans ma tête parce que physiquement ça ne va pas aussi bien que ce que je voudrais. Peut-être que j’ai repris un peu vite après les Jeux, je n’ai pas vraiment coupé. L’engouement m’a donné envie de me remettre au boulot super vite et il s’avère que mon quotidien s’est aussi alourdi avec la rentrée à l’école de kiné en septembre. J’ai moins de repos, je digère peut-être un peu moins bien la charge de travail du début de saison.

Ça va être mes premiers Mondiaux en petit bain. Je n’ai jamais réfléchi à la question de savoir si j’étais un nageur de petit bain ou de grand bain. C’est vrai que je n’ai pas des coulées hyper efficaces, mais le petit bain c’est plus facile, ça réussit à tout le monde. L’objectif était de me qualifier en étant à 80% de ma forme aux N1 d’Angers. C’était un challenge, c’était la première fois que je me présentais à un championnat de France sans être affuté. Et je réussis à aller chercher deux titres de champions de France ! Aux Mondiaux, l’objectif sera d’aller chercher mes meilleurs temps et j’espère que ça me permettra de disputer des finales.

Ceux qui ne viennent pas aux Mondiaux, comme Charlotte (Bonnet), préfèrent rester bosser à la maison. C’est le choix que j’avais fait l’année dernière en renonçant aux Euros petit bassin, je savais que le délai était court pour la qualif olympique, à ce moment-là (décembre 2015) j’avais plutôt besoin d’envoyer à l’entrainement pour progresser. Cette année, au contraire, il faut que je me confronte le plus possible au niveau international. J’ai repris tôt donc j’ai déjà eu le temps de faire un gros cycle, ça tombe plutôt pas mal. Et j’aurai du temps pour réattaquer fort en rentrant des Mondiaux. C’est un objectif intermédiaire, mais comme d’habitude j’aurai à cœur de réussir.

Et donc le gros objectif de la saison, ça sera les N1 grand bassin de Schiltigheim (mai 2017) qualificatifs pour les Championnats du monde grand bassin de Budapest l’été prochain…

Aux N1 il y a deux ans, je me battais pour entrer dans le relais 4x200m aux Mondiaux de Kazan, c’était très difficile ; l’année dernière je visais la qualif individuelle aux Jeux, c’était très difficile. Cette année, les minimas pour Budapest sont moins exigeants, sur le papier je peux les faire en étant dans une forme pas nécessairement optimale (1.47.15 sur 200m / 3.47.43 sur 400m). Il faut que je vois si je suis capable de reproduire ces chronos sur les meetings internationaux de première partie de saison. L’objectif serait de se qualifier pour les Mondiaux sans trop laisser de jus sur l’étape de sélection, pour que le gros pic de forme de la saison n’arrive qu’en juillet pour la grande compet internationale.

A Budapest, l’objectif sera de grimper dans la hiérarchie mondiale sur le 400m, et pour cela il me faudra nager plus vite. Je voudrais me rapprocher du temps qui virtuellement pourrait me permettre de gagner à Tokyo en 2020, aux alentours de 3.40. Mon record est aujourd’hui à 3.45, donc cette année il faut que je descende, à 3.44, 3.43, peut-être 3.42… J’aimerais aller le plus vite possible, mais en tout cas, faire baisser mon temps. Et puis me présenter sur le 200m en individuel avec des ambitions, même si sur cette épreuve j’ai plus de lacunes que sur le 400m. Mais c’est une épreuve qui me tient à cœur tout autant.

Tu viens de l’évoquer, tu te projettes vers l’échéance olympique de Tokyo 2020. Tu as donc un projet sur quatre ans ici au NC Alp’38 ?

Avec Guy nous formons un binôme qui fonctionne bien. Pour l’instant j’ai les moyens de mes ambitions au quotidien, on me donne la possibilité de bien m’entrainer, de faire mes études, c’est important pour moi. Et pour l’instant ça marche, donc je me vois pas partir, on a envie de construire ça ensemble ici.

Tu as eu des sollicitations d’autres clubs ?

Oui. J’ai décliné plusieurs offres. J’aurais pu rester m’entrainer ici et porter le bonnet d’un autre club en compétition. Je ne l’ai pas fait cette année, malgré l’intérêt financier que j’aurais pu y trouver. C’est un choix de cœur. Je suis de Grenoble, je sais que ce qui m’arrive profite aussi au club, j’ai envie de continuer de leur faire profiter. J’ai conscience que mon niveau sportif peut être une clé pour débloquer certaines choses au niveau des mairies ou des financements. Porter les couleurs du NC Alp’38 reste donc quelque chose d’important.

Après, je ne vis pas de la natation, et j’ai vu passer des sommes d’argent assez incroyables pour moi. Cette année je les ai déclinées mais j’espère que le NC Alp’38 sera capable de mettre des choses en place pour se mettre au niveau de ce qu’on peut me proposer ailleurs.

Si l’on revient sur le sportif, tu as donc un projet sur 4 ans avec cet objectif de nager 3.40. sur 400m aux Jeux de Tokyo. Nous avions noté en analysant tes courses que tu partais sur des bases très rapides qui pouvaient te rapprocher de ce chrono mais qu’il te manquait encore une fin de course. Qu’est-ce que vous allez travailler pour atteindre cet objectif ? Quelles sont les lacunes que vous avez identifiées ?

Pour l’instant, on n’a pas envie de changer grand-chose puisque je continue de progresser en poursuivant le travail qu’on a mis en place. Le but n’est donc pas de tout chambouler. Ce n’est pas parce qu’une nouvelle olympiade démarre qu’on va tout changer, pas du tout.

Effectivement, il manque encore cette fin de course. On réfléchit là-dessus, c’est vrai qu’on se pose pas mal de questions, on n’a pas encore toutes les réponses. Physiologiquement, je pense que j’ai de très bonnes bases, ce n’est pas ce qui manque. Ça va peut-être davantage être une question de gestion de course. Peut-être que si je partais une seconde moins vite sur le premier 200m, j’en gagnerais trois sur le retour ? C’est quelque chose qu’on va essayer de construire.

La petite image que me donne Guy, l’idéal à atteindre, ça serait d’avoir la caisse d’un nageur de 1500m, la propulsion de « Jordan Pothain » sur le 400m, qui sur les analyses est plutôt pas mal, et la puissance d’un nageur de 100m. On a envie d’être un mix de tout ça, on sait que c’est l’une des clés du 400m. Et puis parallèlement, je ne me ferme pas aux autres courses, j’ai envie d’être polyvalent.

C’est possible de concilier tout ça à l’entrainement, de développer en parallèle son endurance et sa vitesse ? Ce sont deux chantiers qui paraissent antagonistes.

Justement, on ne s’est jamais cloisonnés à quelque chose, je crois que ça a été un facteur de notre réussite. On a toujours travaillé un peu sur tout. On veut poursuivre dans cette direction, on ne se ferme aucune porte. Bien sûr le 400m reste la priorité, mais pourquoi ne pas envisager aussi d’être performant sur 100m dans quatre ans ? On sait que le travail du 100m va apporter au 400m, que le travail du fond va apporter au 400m, que faire du 4N va être bénéfique également.

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La polyvalence d’une nageuse comme Katinka Hosszu me fait rêver.
A mon échelle, j’aime l’idée d’essayer de progresser sur d’autres courses que mon épreuve de prédilection.

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C’est pour cela que tu entretiens ta polyvalence. On te voit plutôt à ton avantage en sprint en dos et en papillon…

A l’automne cette année j’ai participé à deux meetings où j’ai enchainé une vingtaine de courses par weekend. C’était le fruit d’une réflexion qu’on s’était fait avec Guy à propos du fait qu’en France les nageurs de haut niveau ont tendance à se cantonner à leur épreuve de prédilection. Ce qui est très différent de l’approche d’une nageuse comme Katinka Hosszu, qui moi me fait rêver ! Je dis ça avec modestie, je ne m’entraine certainement pas autant qu’elle, je n’ai pas les mêmes moyens, je consacre du temps à autre chose que la natation. Je connais son programme d’entrainement, je ne suis pas à son niveau. Mais j’aime l’idée d’essayer de progresser sur d’autres courses, de m’ouvrir à d’autres épreuves.

Je m’entraine cinq à six heures par jour, être capable d’enchainer deux fois deux minutes d’effort dans une matinée, je ne vois pas ça comme quelque chose d’insurmontable. Des fois on se dit que la deuxième course va être plus difficile parce qu’on a nagé une heure avant, c’est un discours qui me fait bondir, quand on s’entraine autant on doit être capable d’enchainer deux ou trois courses.

Sur les meetings, enchainer autant de courses c’était aussi une forme de défi au niveau mental. Je ne trouve pas mes limites, j’avais envie d’aller sur ces compets pour voir comment, avec très peu de récup, je pouvais me donner à fond du début à la fin de chaque course. C’était difficile et j’ai vraiment adoré. J’étais éclaté, c’est un exercice très particulier d’enchainer six finales. J’avais peur de ne pas réussir à me concentrer sur chaque course, et en fait je me mettais facilement dedans et je récupérais assez bien. Je me suis bien régalé, c’est quelque chose que j’ai envie de poursuivre dans ma quête de polyvalence.

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Je ne nage pas droit ! Ma nage est un « déséquilibre constant ».
L’objectif technique est de recentrer un peu ma nage, tout en conservant ce roulis qui fait aussi ma force.

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Nous souhaitions aborder avec toi des questions relatives à l’entrainement et à la technique. Est-ce que tu pourrais nous parler de ta technique de nage en crawl, des détails de ton geste ? Quels sont les axes de travail pour encore l’améliorer ?

C’est marrant, parce qu’on en parle beaucoup en ce moment avec Guy. Il y a un truc qui me travaille énormément, c’est le fait que je ne nage pas droit. Je me déporte sur la gauche, ça m’arrive régulièrement à l’entrainement. Et je me souviens de la finale du 200m des N1 de Limoges en 2015 où je suis carrément monté sur la ligne au dernier 50m ! (Rires) Ce déséquilibre, c’est un truc qu’on a analysé à la fois comme positif et négatif. Ce roulis qui me déporte un peu me dessert probablement, mais il faut que je l’entretienne car c’est aussi l’une de mes forces.

Si je devais décrire ma nage je dirais… Un « déséquilibre constant » en fait. Je ne suis pas forcément toujours à l’aise dans l’eau, il y a ce déséquilibre, et je me maintiens par ma cadence. C’est quelque chose qui s’est automatisé par l’entrainement, à la base ce n’était pas quelque chose de bien, mais ça a construit ma nage, et aujourd’hui je dois faire avec.

On se rend compte que l’une de mes forces c’est ma capacité à jeter mon bras gauche, j’ai beaucoup de propulsion. Dans les analyses qu’on a pu faire avec la FFN, on a remarqué que je tractais de l’eau très tôt, je prends de la vitesse dès l’entrée de la main dans l’eau, quand d’autres nageurs doivent attendre que leur bras soit plus profond pour que l’accélération se fasse.

En revanche on constate en ce moment que lors du retour aérien mon bras droit ne monte pas très haut, je le jette un peu trop sur la droite, de manière latérale. C’est le cumul de tout ça qui expliquerait que je me déporte sur la gauche.

C’est certainement la conséquence de nager essentiellement en deux temps à droite. Je suis incapable de nager vite en respirant à gauche. J’ai développé beaucoup de mauvais automatismes. L’objectif technique est donc de recentrer un peu ma nage.

Par ailleurs on travaille pas mal sur les cadences de nage. Je travaille sur des tempos. Sur le 400m, je nage à un tempo 1.6, sur 200m un tempo 1.4. Ce tempo correspond au temps en seconde que prend mon retour de bras. J’ai du mal à descendre très bas, à avoir une fréquence de nage élevée. Mon plus bas, ça va être 1.2, maximum. Florent Manaudou, par exemple, arrive à descendre à 0.9. Les nageurs de 100m sont à 1.0/1.1, jamais à 1.2. C’est un autre axe de travail sur lequel nous devons nous pencher.

Quels exercices mettez-vous en place pour améliorer ces points ?

On ne travaille pas tant que ça sur des éducatifs, davantage dans la répétition du geste tout au long de l’entrainement. Dès que je plonge à l’échauffement, je me concentre sur ma technique. Pour réautomatiser des choses qui sont incorrectes.

Vous faites du travail vidéo ?

Non, pas vraiment. Guy peut me prendre parfois en vidéo pour me montrer un détail, pour réétalonner mes sensations. Il y a toujours un décalage entre les automatismes, le sensoriel dans l’eau et ce que l’on voit hors de l’eau, la réalité. En papillon, c’est horrible, mes deux bras ne sont pas à la même hauteur ; lorsque je me vois à la vidéo c’est assez choquant à voir.

Est-ce que le fait d’avoir appris des choses en STAPS (il est titulaire d’une licence) te sert pour ton propre entrainement ?

Pas trop, même si ça peut être parfois être une source de « conflit » avec Guy, quand on parle de physiologie, par exemple.

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Ma relation entraineur-entrainé avec Guy est dingue.
Elle est toujours basée sur l’échange, c’est hyper démocratique.

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C’est ton entraineur, c’est lui qui te donne les clés mais il sollicite aussi ton avis. Comment décrirais-tu votre relation entraineur-entrainé ?

Elle est dingue, parce qu’elle est constamment basée sur l’échange, c’est hyper démocratique. Je pense que c’est une de nos forces. Tous les jours, Guy est capable de s’adapter. Bien sûr c’est lui qui fait les plans d’entrainement mais il me fixe très peu d’allures, c’est moi qui décide de l’intensité que je veux mettre sur une série, sur une séance. Guy fonctionne comme cela. Ça marche très bien avec lui pour les nageurs qui ont un projet, qui sont autonomes, qui sont capables de s’investir tous seuls. Il recherche cette autonomie chez ses nageurs.

Un exemple illustratif, à trois jours de ma course des Jeux, il m’a laissé faire un entrainement tout seul. Il savait que j’en avais besoin à ce moment-là. Même pendant la préparation, il m’a dit un jour : « Il faut que l’on fasse quelques allures de 400m. Tu fais ce que tu veux ». J’avais une idée de ce que je voulais faire, je lui ai proposée et il l’a validée, alors qu’il aurait pu m’imposer une série. On est en permanence dans l’échange, également quand on travaille technique. Il veut toujours savoir quelles sont mes sensations.

Tu as la réputation d’être un « gros bosseur » à l’entrainement. A quoi ressemble une séance dans l’eau en grosse période de préparation ? As-tu des exemples de séries types ?

Ah bon j’ai cette réputation ? (Rires) On n’a pas vraiment de série type, avec Guy c’est rarement deux fois la même chose. Les grosses séries font entre 3 et 4km. L’an dernier en février en stage de préparation pour les N1 je me souviens d’une série où j’ai nagé 400m/4x100m/300m/3x100m/200m/2x100m « allure 400 », les 100m départ 1.45. Mon « allure 400 » sur un 100m en grand bain à l’entrainement elle est entre 57s et 54s, alors qu’en compet je nage en 57s. Mais je m’entraine à nager plus vite. Départ dans l’eau, je peux nager un gros 51s en fin de séance sur un 100m et répéter plusieurs fois 54s départ 1.45. Après quand on travaille le seuil, avec des départs 1.15 en grand bain, en allure c’est 57s/58s, sur un 20x100m par exemple.

Ta morphologie a évolué ces deux dernières années, tu as pris de la masse musculaire. Quelle place occupe la musculation dans ton programme d’entrainement ?

Je n’en fais pas tant que ça, c’est une évolution assez naturelle. Actuellement, on voit la musculation comme un accessoire à la pratique de la natation. Ça ne doit pas dominer, ça ne doit aucunement gêner mon entrainement de natation. Je fais deux séances de 1h30 par semaine. Le lundi je fais de la force, avec des charges lourdes ; le mardi CrossFit. On cible tous les muscles, c’est un programme hyper général. Toujours dans l’optique de l’entrainement démocratique, en rentrant des Mondiaux et jusqu’en février, j’aurai droit à une séance de CrossFit supplémentaire tout seul le jeudi, parce que j’aime ça et j’ai envie d’en faire plus pour atteindre mes objectifs.

Mis à part ça, tous les dimanches, je prends deux à trois heures pour faire du stretching (étirements) le soir chez moi. D’abord parce que je suis hyper raide, mais aussi parce que les étirements au sortir des entrainements, j’ai fait mes recherches, je n’y crois pas trop, je préfère donc y consacrer une grosse séance hebdomadaire. Avant le dimanche j’allais courir, mais moi qui suis très raide au niveau des chaines musculaires postérieures ça ne me servait pas du tout, même si mentalement ça me faisait du bien, je m’arrachais, j’en faisais plus.

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J’ai un côté autodidacte.
J’ai toujours fait beaucoup de choses seul avec l’envie d’en faire plus pour progresser.

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Tu mets énormément de choses en place par toi-même. On s’attendrait à ce que tu fasses tout ce que te dit ton entraineur mais tu sembles fonctionner surtout en autonomie.

Effectivement. C’est bizarre mais c’est vrai que j’ai un côté autodidacte. J’ai toujours fait beaucoup de choses tout seul à côté dans cette recherche de progression. J’ai toujours eu envie d’en faire plus. Déjà plus jeune le dimanche j’allais faire un truc en plus, en me disant : « Ça va me faire progresser plus que les autres. » Et puis même dans l’eau, j’ai toujours été plus du genre « pierre qui roule » que « dauphin », donc j’ai toujours été dans cette recherche sur mon bras, sur mes appuis… Je me creuse la tête, je sors des entrainements je suis épuisé nerveusement parce que j’ai trop réfléchi (rires).

A l’entrainement, dédies-tu un temps spécifique au travail des ondulations pour combler la relative faiblesse de tes coulées ?

C’est quelque chose que j’aimerais faire aussi mais on ne le met pas encore en place. Par contre avant je mettais deux ondules dans mes coulées, et en septembre 2015 à la reprise je me suis dit: « Cette année, trois ondules ! » J’ai tenu, j’ai réussi à placer trois ondules dans mes 400m. Cette année, j’ai repris : « Quatre ondules ! » A quatre ondules, l’avantage c’est que si je « bamboute » un peu je peux passer à trois ondules en cours de course, alors qu’avant quand j’en avais deux, si je réduisais, il ne me restait pas grand-chose, je sortais aux 3m… C’est quelque chose que j’entretiens à l’entrainement, dans mes séries j’essaye de rester à quatre ondules, sauf vraiment quand ça craque sur des allures difficiles, je passe à trois.

J’ai demandé à Jéjé (Stravius) comment il bossait ses coulées. Et en fait il ne fait pas de grosses coulées pendant ses séries à l’entrainement. C’est quand il est en aéro qu’il fait systématiquement ses 15m de coulée. Comme moi, quand l’effort est difficile, il peut les réduire. Après, bien sûr, il a une ondulation qui biomécaniquement est folle. On ne peut pas tout comparer.

Moi, les jambes, je les travaille assez peu à la muscu, je fais peu de travail de force sur les jambes. C’est pour ça que le CrossFit est une piste de travail que je trouve intéressante, car c’est une méthode qui sollicite davantage les jambes et qui devrait me permettre de progresser.

Pourrais-tu nous décrire ta journée type à Grenoble ?

Réveil à 5h30, je pars de chez moi à 6h. 6h15, arrivée à la piscine universitaire, échauffement à sec, 6h30 je plonge. Je nage deux heures. Après selon les matins, j’essaye de prendre mon temps en sortant de l’entrainement, de ne pas trop courir quand même. Je suis en cours aux alentours de 9h/9h30 jusqu’à 12h. Je rentre, je mange, je sieste. La deuxième séance de natation est l’après-midi. Les lundis et mardis, dès 14h je suis en salle pour la musculation. Tous les jours je démarre dans l’eau à 15h, j’arrive donc les autres jours vers 14h30. Et je passe de nouveau deux heures dans l’eau. Je rentre chez moi aux alentours de 18h. Le soir, il faut ajouter une séance de kiné dans la semaine et du boulot pour les cours.

Au niveau diététique, est-ce que tu suis un régime strict ?

Je mange naturellement équilibré. L’an dernier j’ai eu la chance de rencontrer la nutritionniste de la FFN, Céline Couderc, ancienne nageuse de l’équipe de France. J’ai appris des choses, notamment sur les apports en protéine. En discutant avec la nutritionniste, je me suis rendu compte que je n’en mangeais pas assez, j’essaye d’y faire attention. C’est important, parce que je ne me complémente pas. C’est peut-être une erreur, mais j’ai pour principe de me dire qu’on peut trouver tout ce dont on a besoin dans les produits alimentaires naturels. Et puis je suis convaincu qu’en prenant des compléments comme la créatine pour la prise de muscle, les adaptations du corps ne vont pas tenir dans le temps, alors qu’en mangeant des protéines animales, en l’intégrant à mon alimentation au quotidien, l’évolution sera plus pérenne. C’est ma théorie !

Revenons à l’entrainement. Au NC Alp’38, tu nages dans un groupe élite où les nageurs ne sont pas capables de suivre tes allures. Ne ressens-tu pas parfois un manque d’émulation à l’entrainement ?

Nager « seul », c’est une chose à laquelle j’ai dû m’habituer durant toute ma carrière, j’ai su développer cette capacité. Plus jeune, quand je nageais au NC Échirolles, je m’entrainais seul à l’arrière du groupe, il fallait que je m’accroche pour suivre, que je me rentre dedans. Du coup, mon niveau d’entrainement était très élevé. Et quand je suis passé avec Guy (à partir d’avril 2011, suite à la fusion du NC Échirolles et du Grenoble Université Club qui a donné naissance au NC Alp’38), je n’avais pas le meilleur niveau de compet du groupe, Hugues Lezotre (plusieurs fois demi-finaliste N1 en 4N et en dos) était encore là à l’époque, mais j’avais déjà le meilleur niveau d’entrainement.

Aujourd’hui, je me dis que me confronter à l’entrainement serait une manière différente d’aborder l’effort. Des fois on le met en place avec des astuces. Ça arrive que les mecs mettent les palmes à côté de moi. L’an dernier j’ai aussi fait des séries avec Delphine Dulat (sprinteuse de niveau N1 licenciée au NC Alp’38). Elle partait avant moi, on avait fixé un écart de 5 secondes par 50m, 10 secondes par 100m. Quand je faisais mes séries de 100m en 54s, elle devait nager 1.04, ce qui est vraiment pas mal pour elle. Avec ce différentiel de 10 secondes au départ, on se retrouvait dans le sprint final au coude à coude. C’était plutôt sympa comme adaptation.

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Je me qualifiais toujours « ras les pâquerettes » pour les championnats de France par catégories d’âge.
Une année je termine dernier du 100m papillon et du 1500m, je n’avais pas de bons résultats.

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Puisque tu l’as évoqué, peux-tu revenir plus en détails sur tes jeunes années à Échirolles ? Que te reste-t-il aujourd’hui de ces années de formation ?

Tout à l’heure, j’ai utilisé le terme « autodidacte » mais ma construction est le fruit de plein d’apports. J’ai pris un peu tout ce qui me plaisait dans tout ce que j’ai vécu. A Échirolles, en benjamins et minimes, il y avait un groupe performant, avec Tiphanie Janin en chef de file (l’une des meilleures nageuses françaises de sa catégorie d’âge à l’époque, sélectionnée pour la COMEN, née comme Jordan en 1994). Je me souviens une année m’être fixé pour objectif de la battre à la fin de la saison ! Avec ce groupe, on faisait plein de trucs ensemble à côté. Je me régalais. On avait des horaires aménagés au collège, c’était constamment la course pour aller nager après les cours. Celui qui arrivait en retard, le coach ne le laissait pas nager ! On arrivait dans le vestiaire, on mettait quinze secondes, le temps de jeter les affaires dans le casier, de mettre le maillot et c’était parti. Il y avait une vraie émulation et une constante recherche de performance, mais de manière ludique.

Sébastien Bonnet, notre entraineur, ça a été une rencontre importante. La première année, j’ai dû encaisser son exigence, c’était dur, mais ça me plaisait. A partir de la seconde au lycée, avec Dorian Coninx, on a commencé à s’entrainer deux fois par jour toute la semaine, même le samedi, dans une optique de haut niveau, toujours avec Seb comme entraineur. D’autres nageurs nous rejoignaient parfois mais on était seulement deux à faire les dix séances hebdomadaires. C’était à bloc tout le temps. Pour moi ça ne marchait pas, je n’avais pas de bons résultats. Mais je savais que ce qu’on faisait c’était pour le futur. J’étais déjà dans cette optique.

Seb a été quelqu’un de particulièrement marquant. Il m’a constamment poussé à me donner à fond, à toujours chercher à ce que je me dépasse à l’entrainement, même quand ça faisait mal, et à toujours garder une grande confiance en moi.

A cette époque, je me qualifiais toujours « ras les pâquerettes » pour les championnats de France par catégories d’âge. Je me souviens encore d’une année à Besançon, je termine dernier du 1500m comme du 100m papillon, je me revois monter les marches de l’hôtel, je n’avais plus de jambes.

Tu peux nous dire un mot sur ta relation avec Dorian Coninx qui était ton partenaire d’entrainement au NC Échirolles avant qu’il ne se tourne vers le triathlon.

On a effectivement ce passé commun à Échirolles et se qualifier tous les deux à Rio est d’autant plus beau vu ce qu’on a vécu ensemble plus jeunes. Après on a un parcours différent, lui performait déjà plus jeune, il avait un niveau bien au-dessus du mien. Je dois dire qu’il a été un moteur pour moi. Le travail qu’on faisait lui réussissait déjà plutôt pas mal dans les catégories jeunes. Et moi derrière, je me disais : « On fait la même chose, ça va finir par m’arriver à moi aussi ! »

Est-ce que tu trouves toujours un sens à cette souffrance à l’entrainement ou est-ce qu’il t’arrive de cogiter ?

Aujourd’hui je suis entré dans un cercle vertueux : je bosse super dur, et plus je bosse dur plus je me sens confiant, car j’associe ça au fait que ça va payer plus tard. Et comme ça marche, j’ai juste envie de bosser encore plus dur. A aucun moment à l’entrainement je ne me dis : « Tu as mal, arrête ! » Au contraire, je me dis : « Tu as mal, c’est de la bombe, ça veut dire que tu es en train de progresser ! »

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L’entrainement c’est du plaisir, mais aussi beaucoup de souffrance.
Si un jour je me retrouve à la limite, que je ne suis plus capable de m’investir à 100%, alors j’arrêterai.

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Dans ta carrière, tu n’as jamais connu le burn out, l’envie de dire : « La natation, j’en ai marre ! » ? Tu ne t’es jamais imposé une période d’arrêt pour finalement y retourner ?

Non, jamais. Depuis quatre ans, je progresse régulièrement, j’ai envie de voir jusqu’où je peux aller. A la limite, c’est lorsque j’ai arrêté de nager avec Seb que j’ai failli tout arrêter, en 2011. Parce qu’on construisait ce projet pour l’avenir, et à partir du moment où ce projet s’interrompait, c’était fini, je ne voyais plus de suite. Ensuite j’ai commencé à travailler avec Guy, mais à ce moment-là je me suis dit : « J’ai raté le coche du haut niveau. C’est trop tard ! » Quand je parlais d’objectifs à long terme, je disais : « Au mieux, si je rentre dans une finale aux N1, ça sera déjà pas mal ! »

Je n’ai jamais fait de burn out au point de tout arrêter, mais c’est vrai que la question peut traverser l’esprit. Quand je me mets dans les états dont je parlais tout à l’heure, des fois je me demande : « Qu’est-ce que ça m’apporte ? » Parce que c’est du plaisir, mais aussi beaucoup de souffrance. Je sais qui si un jour je me retrouve à la limite, à me poser toutes ces questions, que je ne suis plus capable de m’investir à 100%, là j’arrêterai. Je suis incapable de me mentir, en continuant tout ce que je fais à seulement 80%. Pour moi ça serait tout gâcher.

D’ailleurs c’est un des trucs que j’avais envie d’expliquer en prépa mentale. Je connais des nageurs, qui ne nagent pas forcément autant que moi, mais quand même huit ou neuf fois par semaine, et qui dans l’eau ne font pas les efforts : pourquoi sacrifier autant si c’est pour ne pas aller au bout ? Je n’arrive pas à le concevoir. Je sais que pour moi ça ne serait pas possible, là j’arrêterais.

De même que si je n’avais pas de bonnes conditions ici pour m’entrainer, j’arrêterais, je ne me voilerais pas la face. A aucun moment je ne pourrais m’entrainer dix fois par semaine si les conditions ne me convenaient pas. Même si ça me peinerait beaucoup que me décision d’arrêter soit due à un tiers.

On a du mal à évaluer la difficulté qu’il y a à gérer à la fois l’entrainement, les études, mais aussi, avec le statut que tu as acquis en tant finaliste olympique, le fait de se retrouver tout-à-coup sous les projecteurs des médias. Comment parviens-tu à gérer ça et que mets-tu en place pour te protéger ?

Ce n’est pas facile. Je ne cesse de me répéter que mon job à moi c’est de m’entrainer, de nager, de performer. Et que tout ce qu’il y a autour ne doit pas m’influencer. Malheureusement c’est parfois le cas. Je dois prendre du temps pour aller faire des médias… Au retour des N1 de Montpellier, j’ai même été invité à Paris pour aller faire un plateau télé suite à l’histoire de la touche avec Yannick (Agnel) sur le 200m, c’est démentiel ! À Angers aux N1 petit bain, suite à la petite phrase de Philippe Lucas (qui voit déjà Jordan médaillé d’or sur 400m à Tokyo, rien que ça !), c’est BeIN qui m’a sauté dessus pour me présenter comme le « leader » de la nouvelle génération, c’était beaucoup trop fort. Pour faire face à ça, je repense juste à tout ce que je mets en place au quotidien en me disant que je n’ai pas le droit que ça vienne interférer.

Aussi, pour me protéger face à cette exposition médiatique soudaine, j’ai pris un agent, le même qu’Alain Bernard et Jérémy Stravius, David Van Hacker. Ça évite que ça soit mon téléphone qui sonne tout le temps. L’an dernier aux N1 de Montpellier, mon portable n’était pas en super état, il avait failli exploser tellement je recevais de notifications. (Rires)

Les Jeux ne sont pas terminés depuis longtemps et les Mondiaux petit bain arrivent, il y a donc encore un peu d’euphorie, beaucoup de sollicitations. J’espère qu’ensuite ça va se calmer jusqu’aux N1 en mai. Parce que ça devient pesant. J’ai même pensé faire un peu de sophrologie, pour mettre mon cerveau sur pause, car des fois je n’arrive plus à évacuer !

Mais la médiatisation a aussi ses bons côtés. Mon statut de finaliste olympique m’a fait vivre des trucs humainement incroyables. Je suis allé à Reims, un club m’avait invité, les gens étaient hyper avenants, demandeurs. Humainement, ces échanges ont été hyper riches. Ça tient aussi à mon parcours atypique, tout le monde peut un peu s’y associer. Je viens également d’un petit club, je ne suis pas déconnecté. Guy l’a vécu comme moi, quand on part passer le weekend sur un meeting, on rentre le cœur chargé d’émotion.

Idem sur un évènement comme l’Open des Alpes, à domicile qui plus est, on sent qu’on apporte du bonheur aux gens, c’est gratifiant. Ça fait plaisir ce contact avec le public, c’est quelque chose que j’ai envie d’entretenir. Mais il faut bien entendu que ma pratique de la natation reste prioritaire.

On a l’impression de l’extérieur que les nageurs de haut niveau sont très encadrés et entourés ; toi tu es très autonome sous bien des aspects mais donc aussi plus exposé…

C’est vrai que la structure du club fait qu’on n’était pas préparé à ça, à cette médiatisation. Aux N1 de Montpellier par exemple, au moment de l’imbroglio sur le 200m, Guy était paniqué. Je me retrouve en conférence de presse avec Lionel Horter (l’entraineur de Yannick Agnel à Mulhouse) et le DTN. Il n’y avait personne de mon club, aucun dirigeant. Parce que personne n’était préparé à ça. Je ne leur en veux pas, mais ça n’était pas à moi de me présenter. Yannick n’était pas là, lui. Avec Guy, on apprend sur le tas !

Ma réaction en conférence de presse à Montpellier et ma décision de laisser Yannick nager le 200m en individuel aux Jeux, c’était assez logique. Sans mentir, je me suis dit : « Si je me rate sur 200m aux Jeux en individuel et que Yannick fait un bon truc dans le relais, c’est moi qui prend ! » Donc je me suis dit : « Reste sur tes objectifs ! » J’étais venu pour me qualifier sur le 400m et intégrer le relais 4x200m. Bien sûr j’aurais aimé disputer le 200m olympique en individuel, mais ça ne m’aurait pas apporté grand-chose de plus, j’avais davantage à perdre. Ça me semblait naturel de me désister.

Question bonus. On te voit nager bras tendus les ultimes mètres de tes courses – et tu n’es d’ailleurs pas le seul nageur à avoir adopté cette technique récemment – pourquoi ?

Cette technique me permet de me relancer sur les cinq derniers mètres de la course, je la trouve très efficace. La motricité a tendance à s’écrouler chez la plupart des nageurs dans le sprint final, ce type de relance permet d’éviter de s’effondrer.

Merci beaucoup pour ta disponibilité. Nous te souhaitons le meilleur pour les Mondiaux petit bassin de Windsor de la semaine prochaine et pour la suite de ta saison.

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