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En réalisant le doublé championnats d’Europe / championnats du monde, Logan Fontaine a tout remporté chez les juniors en 2015-2016, porté par la vague de succès de l’eau libre française ces dernières années. Portrait d’un nageur déterminé, avec qui il faudra très vite compter chez les seniors.

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En ce gris vendredi d’octobre, le soir tombe sur le bassin découvert du complexe nautique Guy Boissière. La température, plutôt fraîche, n’a visiblement pas refroidi les ardeurs du public rouennais qui aligne consciencieusement les longueurs en silence. Sur la plage de départ, un petit groupe se prépare dans la bonne humeur à plonger dans les trois lignes qui lui sont réservées. Ce sont les membres du groupe eau libre du pôle espoir natation course qu’accueille le club des Vikings de Rouen.

Dès les premières longueurs, impossible de ne pas être frappé par la fluidité technique de Logan Fontaine, sa marque distinctive. Coude haut lors du retour aérien, prise d’appui d’une efficacité redoutable et une impression générale de grande facilité. Un élément sur lequel s’accorde volontiers son entraineur Éric Boissière : « C’est sa grande force, d’autant que sa technique est la même en bassin et en eau libre. Dans un peloton, parmi des dizaines de nageurs, je le distingue tout de suite. Dans un bassin ou dans les vagues, c’est le même ».

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Repéré à Honfleur par Boissière, Logan arrive à Rouen en 2014, à 15 ans. Il est alors spécialiste de 400m et surtout 1500m, épreuve sur laquelle il pointe dans les dix meilleurs nageurs français de son année de naissance (1999). Un bon nageur donc, mais dont il est difficile de prévoir l’explosion. En tout juste un an, il passe de 4.13 à 4.01 au 400m et retranche plus d’une minute à sa meilleure marque sur le 1500m. Cette progression le propulse au sommet européen de sa catégorie d’âge, puisqu’il remporte l’épreuve lors de la COMEN 2015 en 15.44.97.

Des bassins, Logan étend presque naturellement son répertoire à l’eau libre, dont il découvre la même année les étapes de Coupe d’Europe. La transition est facilitée par l’expérience accumulée à Rouen sur la discipline et ses propres qualités naturelles. Une évidence que souligne avec humour Éric Boissière : « On réussit avec le travail, mais il faut des qualités de base. Même le meilleur entraineur du monde ne fera pas faire d’eau libre à Florent Manaudou ».

D’ailleurs, Boissière n’a pas toujours orienté ses nageurs vers l’eau libre. Ce qui a longtemps fait la renommée des Vikings, ce sont en effet…les sprinteurs ! De Stéphane Caron – formé par son père Guy – à Fabien Gilot, en passant par Julien Sicot, Sébastien Bodet, Diane Buy-Duyet, Kevin Trannoy ou encore Grégory Mallet, tous ont usé leur maillot de bain dans le bassin de l’île Lacroix. Mais dans les années 2000, ils sont nombreux à prendre le chemin du départ, vers Marseille, Nice ou encore Paris. Le meilleur nageur de l’effectif rouennais est alors Damien Cattin-Vidal, à l’époque spécialiste du 400m 4n et du 1500m. C’est avec lui que les Vikings vont découvrir l’eau libre.

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Tout commence en 2010, après les Nationaux 1. À la demande de son ancien entraîneur à Sens, Frédéric Elter-Laffite, Cattin-Vidal accepte – avec réticence – de participer aux championnats de France indoor du 5km. L’expérience, d’abord pensée comme symbolique et intégrée au cycle d’entrainement, prend un tour inattendu avec la réalisation par le nageur rouennais des minimas permettant une pré-convocation en équipe de France. Il décide alors de tenter sérieusement la qualification pour les championnats d’Europe, en accord avec Boissière. Ce dernier se souvient précisément du déroulement de l’épreuve de sélection : « À l’époque, je ne connaissais rien à l’eau libre. En me basant sur ce que je savais du marathon, j’avais sous-estimé l’importance du ravitaillement. Mais évidemment, dans l’eau, avec le froid, c’est très différent ! ». Malgré un sérieux coup de barre, Cattin-Vidal s’accroche jusqu’au bout pour enlever la troisième place et le billet pour les Euros. C’est un véritable tournant dans sa carrière, où le bassin n’occupera plus qu’une place accessoire. En six ans et malgré des blessures, il engrange six titres nationaux (quatre sur 5km, deux sur 10km) et termine à deux reprises meilleur Français aux championnats du monde : septième sur 5km en 2011 et quatrième sur 10km en 2013, année au cours de laquelle il décroche également un podium lors de l’étape argentine de la coupe du monde.

Dans la vague des succès de Cattin-Vidal, le groupe eau libre des Vikings s’étoffe naturellement. Des jeunes obtiennent leur qualification pour les championnats d’Europe junior. Parmi eux, un certain Marc-Antoine Olivier emporte le titre, en 2012. « Plus aucun sprinteur ne m’a appelé pour intégrer le club à partir de ce moment là ! », s’amuse Boissière. « Mais comme disait mon père, un bon entraîneur est aussi celui qui sait s’adapter à la population qui occupe ses lignes d’eau ».

Logan Fontaine est l’exemple parfait de ce glissement progressif des Vikings du sprint vers l’eau libre. Demeurent tout de même certains vestiges des temps passés, comme la place importante dévolue aux jambes dans l’entrainement. Sous nos yeux, Logan enchaîne les longueurs en battement avec facilité. Capable d’exécuter un 100m avec planche en 1min08, il n’a rien du nageur de longue distance utilisant quasi-exclusivement ses bras.

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Le travail de vitesse est d’ailleurs un élément extrêmement important de son entraînement. « On travaille beaucoup les changements de rythme. Quand je leur donne un 500, un 1000 ou un 1500, je demande toujours de nager la deuxième partie plus rapidement que la première, et sur un 400m le dernier 100m le plus vite possible. Ce soir, ils feront une série comprenant 500 aérobie, 2×50 vite, 400, 2×50, 300, 2×50, le tout trois fois ». Les 50m nous permettront de vérifier la vélocité du jeune normand, à faire pâlir d’envie bien des sprinteurs. Une compétence qui, de l’aveu de l’intéressé même, est désormais indispensable : « C’est primordial pour les fins de course. Il faut impérativement posséder une bonne pointe de vitesse pour s’échapper du groupe, ça m’a déjà permis de faire la différence ». Ce fut notamment le cas aux championnats d’Europe juniors : au coude à coude avec le favori russe Iaroslav Potapov à l’entame du dernier 500m, il se joue de lui au sprint pour le devancer de quelques dixièmes.

Cela ne signifie évidemment nullement que l’on peut intégrer le cercle des meilleurs spécialistes de l’eau libre en se contentant de travailler la vitesse. Après une quinzaine de jours de coupure consécutive à sa victoire européenne mi-septembre, Logan Fontaine est sur le point de terminer sa troisième semaine d’entrainement. Encore en phase de reprise, il n’aura nagé « que » 65km hebdomadaires, contre 70/75km en période normale. Le volume grimpe jusqu’au 100km en période de stage, où fleurissent les séries telles que des 16x400m. Même en période d’affûtage, il est rare qu’il descende sous les 10km quotidiens jusqu’à la dernière semaine avant l’objectif. À tout cela s’ajoute le travail hors du bassin, avec un préparateur physique (principalement pour le gainage et le renforcement abdominal) et un kinésithérapeute, essentiel pour la récupération.

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Pour réussir en eau libre, il faut donc être capable d’absorber ces importantes charges de travail. Difficile pour le nageur, mais également pour son entraîneur, qui voit radicalement augmenter ses heures de présence au bord du bassin. Observant son ancien mentor infliger et s’infliger des séances à rallonge, Julien Sicot n’avait pu s’empêcher de lui faire part de son admiration. Mais Boissière tempère : « Je lui ai rappelé qu’eux, les sprinteurs, ne pouvaient pas s’entrainer ensemble en phase d’affûtage, même s’ils s’entendaient bien. Ils ne voulaient pas dévoiler leurs cartes, refusaient de se mesurer les uns aux autres. J’étais donc obligé d’effectuer plusieurs séances séparées. Et puis ils négociaient chaque kilomètre. Pour moi, ça n’était pas moins long ! »

L’ambiance n’est pas vraiment la même chez les nageurs d’eau libre, où la solidarité est de mise. Logan Fontaine confirme : « On encourage celui qui craque, parce que l’on sait pertinemment que chacun peut connaitre un jour sans. On traverse tous des moments difficiles à un moment ou un autre de la saison ». D’où l’importance du groupe, et de disposer de bons partenaires d’entrainement. Au pôle des Vikings, ils se nomment notamment Benjamin Brantu (15.27.69 sur 1500m en 2016, vice-champion de France sur 25km), Baptiste Colmant et Jean-Baptiste Clusman. Gros travailleur, Logan n’est cependant pas le dernier à prendre quelques libertés pour chahuter, ce qui ne semble pas déranger outre mesure son coach : « Il est insouciant, c’est aussi bien comme ça ! C’est aussi un aspect important de sa personnalité : il s’amuse dans l’eau. Ça ne l’empêche pas de se battre pour toucher devant, même à l’entrainement face à ses potes. Le jour où il se prendra la tête au départ d’une course… »

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Est-ce cette relative légèreté qui lui a permis d’aussi bien s’adapter à tous les schémas de course qu’il a rencontrés jusqu’ici ? En 2015-2016, Logan Fontaine a su gagner dans toutes les configurations, y compris dans la peau du grand favori, un statut qui, désormais, risque fort de lui coller à la combinaison. Rien ne semble avoir de prise sur lui, pas même les tentatives de certains de ses adversaires de lui infliger un traitement spécial. L’eau libre est en effet un sport de contact, dans lequel la science du placement est reine. D’excellents nageurs de bassins s’y sont cassé les dents, mais pas Logan :  « Les contacts, ça me plait vraiment beaucoup ! Ça m’est déjà arrivé de prendre de bons gros coups, mais je ne me déstabilise pas, je reste dans la course et, si possible, je le rends ». Boissière complète : « Il est important que mes nageurs se défendent, mais je m’interdis de les former à mettre des coups. Ce qui est important, c’est de se forger une réputation de dur à cuir, afin d’éviter les agressions ». Un élément capital, car dans un peloton, il est impossible pour les juges de repérer touts les gestes dangereux et anti-sportifs.

Une autre caractéristique de l’eau libre, ce sont évidemment les trajectoires qu’il faut choisir, loin des lignes droites du bassin. Un aspect sur lequel le Rouennais estime avoir beaucoup progressé ces dernières années : « Au départ, je n’étais pas vraiment bon pour ça. Mais de compétition en compétition, on le bosse. On identifie les erreurs avec Éric afin d’éviter de les reproduire et on a su s’améliorer ». Le travail a porté ses fruits lors des championnats du monde junior : jugeant les trajectoires choisies par les favoris loin d’être idéales, Fontaine a fait le choix de s’extraire du groupe bien avant l’emballage final. Un choix osé, mais payant.

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Après avoir tout gagné sur le circuit junior, Logan Fontaine entend bien faire sa place chez les seniors. L’objectif majeur de sa saison 2016-2017 sera d’ailleurs d’obtenir la qualification aux championnats du monde sur le 10km. Pour cela, il faudra déjà terminer à l’une des deux premières places aux championnats de France, où la concurrence s’annonce particulièrement rude, puisqu’il faudra compter notamment avec Marc-Antoine Olivier, désormais entrainé par Philippe Lucas et médaillé à Rio, Axel Reymond, champion d’Europe sur 25km, sans oublier son propre partenaire d’entrainement Benjamin Brantu. Afin de composter définitivement son billet pour la Hongrie, deux possibilités s’offriraient ensuite à Fontaine : soit terminer dans les huit premiers d’une manche de coupe du monde, avec deux opportunités (en Argentine et à Dubai) dès février, soit retrancher une petite dizaine de secondes à son record sur 1500m en bassin pour réaliser les minimas fixés par la fédération à 15.25.00. Un objectif qui selon Boissière est réaliste à la lumière de ce qu’il peut observer à l’entrainement. La contrainte serait néanmoins de devoir trouver une compétition où réaliser cette performance, avec la nécessité de la préparer spécifiquement, ce qui se traduirait par une perte de temps.

En 2017, ce sera donc bien le 10km, l’épreuve olympique, qui dictera le calendrier de Logan Fontaine. Un choix qu’assume ouvertement Boissière : « C’est l’épreuve phare, la vitrine de notre sport, qui l’a considérablement tiré vers le haut depuis son introduction aux Jeux. Une médaille d’or olympique a la même valeur dans tous les sports ». Car le coach des Vikings regarde déjà plus loin, en direction des jeux de Tokyo, même s’il sait à quel point le chemin est encore long : « Être le meilleur à 17 ans ne veut pas dire qu’on le sera à 21 ans. Mais Logan peut progresser dans tous les domaines et n’a déjà plus de grosse lacune. Si toutes les évolutions sont bien sûr différentes, tant en course qu’à l’entrainement, il est encore plus impressionnant que Marc-Antoine Olivier au même âge ».

 

 

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