Long entretien avec Nicolas D’Oriano, dix-neuf ans, sélectionné olympique aux Jeux de Rio sur 1500m. Encore convalescent suite à une rupture des ligaments croisés intervenue cet été, il aborde avec nous des sujets aussi variés que le bilan de sa saison 2016, son nouveau projet sportif au CN Marseille, ses méthodes d’entrainement, ses objectifs pour l’avenir, la technique de nage des meilleurs crawleurs mondiaux, le dopage, le traitement médiatique de la natation. Avec passion et décontraction.

 

 

Avant toute chose prenons des nouvelles de ta santé. Tu as été opéré récemment des ligaments croisés. Peux-tu nous dire deux mots sur les circonstances de cette blessure ?

Ça s’est passé le 13 août, le lendemain des séries du 1500m des Jeux. Tout le monde avait terminé, sauf Damien (Joly) qui nageait la finale. On est allé faire un foot dans le village olympique et je me suis blessé sur un tacle.

On peut connaître l’identité du coupable ?

(Rires) C’est un nageur d’ici. Assez connu. Costaud, grand. Il fait du handball maintenant.

A ton retour en France, tu es donc parti en rééducation ?

J’ai fait quatre semaines de rééducation à Capbreton, dans un centre réservé aux sportifs. Ça m’a énormément aidé : là-bas on ne faisait que ça, c’était rééducation de 8h à 17h. Tout est organisé pour qu’on soit le mieux possible, ça m’a fait gagner énormément de temps.

J’ai recommencé à nager il y a deux semaines environ (début octobre). Ce matin j’ai par exemple nagé 4500m. Ce n’est pas extraordinaire, mais je pense que si je n’avais pas fait la rééducation, je ne pourrais toujours pas plier la jambe au virage. Je ne pousse encore qu’avec une jambe au mur, je garde le pull-boy, mais c’est déjà pas mal.

Il y a donc une vraie dimension sportive dans cette rééducation.

Oui. Après une blessure on ne bosse que sur la douleur. Chaque mouvement est plus ou moins douloureux, je prends des anti-douleurs justement pour pouvoir continuer à bosser. Ce n’est pas le Club Med, loin de là !

Quel bilan dresses-tu de ta saison ? Tu ne t’attendais pas forcément à te qualifier pour les Jeux…

Aux N1 (qualificatifs pour les Jeux) je ne pensais à rien du tout.  Toute l’année, je n’avais fait que des contre-performances, que ce soit en meetings ou même aux Championnats de France petit bassin. C’est simple, je n’avais pas réalisé une seule bonne course. Autant dire que je ne suis pas arrivé très confiant, même si, pour la première fois de la saison, je recommençais à avoir de bonnes sensations dans l’eau.

Je n’ai donc pas ressenti la pression que certains pouvaient avoir vis-à-vis des minimas : moi, je voulais surtout me qualifier aux Euros. Mais je pense que de ne pas savoir où j’en étais m’a servi : j’avais une tactique bien établie trois semaines avant les N1, j’avais fait un gros travail avec la psychologue que je voyais à Toulouse pour aborder la compétition dans les meilleures conditions. La tactique, c’était de la jouer complètement à l’intox, quitte à exploser. Au départ du 1500m, j’ai tenté le tout pour le tout et je me suis dit : « Je vais partir vite et on verra si ça ne craque pas trop ». Je n’avais aucun repère. Pendant la course, aux 500m je sais que je suis bien, que ça va vite et que je dois rester le plus près possible de mes concurrents parce que sur 1500m, si tu es distancé, c’est terminé. Au bout de 800m et pendant les 300m qui ont suivi, j’ai eu l’impression de ralentir. Au 1100m je me dis : « Il faut réattaquer ! » En fait mes meilleurs 100m sont les trois pendant lesquels je m’étais relâché. Sur la première partie de course, j’ai beaucoup tourné les bras, j’étais haut en cardio, j’ai mis beaucoup de jambes, ma technique était un peu instable.

Le soir de mon 1500m, j’espère que toutes les têtes d’affiche vont se qualifier directement par les minimas pour que je puisse faire partie des six repêchés, comme le prévoyait le règlement. Toute la semaine des N1, il y avait des calculs de pourcentages pour les repêchages.

On ne m’attendait pas du tout.
J’avais entendu des gens dire :
« D’Oriano, il a fait son année en 2015 »

 

Tu as été surpris de la performance (15.06.31, record personnel amélioré de sept secondes, 5e MPF) ?

Non, pas forcément surpris, parce qu’au fond de moi j’espérais quand même faire une perf. D’ailleurs je pensais même avoir nagé un tout petit peu plus vite, car je voyais que Damien (Joly) n’était pas si loin devant. À la fin de la course je me suis dit : « C’est bon, en fait, t’es pas mort ! » On ne m’attendait pas du tout. J’avais entendu des gens dire : « D’Oriano, il a fait son année en 2015 ».

La préparation avait donc été bonne ?

Oui, la prépa a été excellente, avec Joris Bouchaut et Mathis Castera, les deux autres nageurs de demi-fond qui nageaient avec moi à Toulouse, même si notre programme n’a pas toujours été le même. J’avais davantage de séances de musculation, notamment pour le 400m 4N ; Joris a énormément nagé, il enchainait les semaines à 100km, niveau régularité, c’est un exemple ; Mathis avait un double projet en école d’ingénieur et au pôle France. On a eu tous les trois une prépa différente jusqu’au stage terminal cinq semaines avant les N1.

Une semaine avant la course, Lucien Lacoste (son ancien entraineur à Toulouse) nous a demandé, à Joris et moi, de nager un 2000m à 1.05 de moyenne à l’entrainement. On est parti extrêmement rapidement, 4.10 au 400m ! Je finis le dernier 400m en 4.25, à la rue, avec une douleur au ventre énorme. Et en fait, cette série a été très utile, dans l’optique de se préparer à exploser, à avoir un mal de ventre énorme et de continuer malgré tout à tourner les bras, chose que je ne faisais jamais. Moi ce que j’adore faire, c’est partir un peu en retrait, rester dans la vague, et terminer fort sur le dernier 400m. Et c’est vrai que sur le 1500m des N1, je n’aurais eu aucune chance avec cette stratégie : j’aurais probablement fini troisième en 15.15. J’ai donc fait toutes mes séries dans cette optique, je savais que ça me servirait.

Tu t’es également illustré sur d’autres épreuves pendant ces championnats de France.

Sur le 200m, le lendemain du 1500m, je pensais faire beaucoup mieux (1.50.94 en séries, record personnel). J’ai plus de vitesse d’année en année, mais ce n’était pas évident de se remettre dedans après mon petit exploit de la veille. Le troisième jour, je nage le 400m 4N et ça se passe très bien. Je n’espérais pas grand-chose, je voulais simplement garder mon titre, mais le chrono m’a agréablement surpris (4.20.03, record personnel, 6e MPF). Sur le 800m, on nageait le matin, l’épreuve n’est pas olympique, c’est difficile de se mettre dedans. Ce n’étaient pas les meilleures conditions pour performer (11e place en 8.13.88, à près de 15 secondes de son record).

Quelques semaines plus tard, tu disputes ta première compétition internationale avec l’équipe de France A aux championnats d’Europe de Londres. Quels enseignements en tires-tu ?

Que pour être performant sur un 1500m il ne faut pas saccader la préparation comme on l’a fait. En tout cas moi je n’en suis pas capable, contrairement à certains. Je ne suis pas parvenu à retrouver un pic de forme un mois et demi après les N1. On a pourtant essayé, en reprenant dès le mardi. Le mercredi j’apprenais que j’étais qualifié pour les Jeux. J’avais juste envie de prendre des vacances, de rentrer chez moi, ce que je n’avais pas fait depuis plusieurs mois. J’ai fait un petit burn out, avant de repartir sur une période de travail avant les Euros. Et là-bas, un peu comme toute l’année, dès que je ne suis pas préparé à 200%, dès que ce n’est pas le moment où il faut que je sois présent, ça ne va pas. Et encore, 15.25, ce n’était pas si terrible, je m’attendais à pire niveau chrono.

Tu arrives quand même à prendre du plaisir dans une grande compétition comme celle-ci malgré ta petite forme ?

Aucun. J’ai passé toute la semaine là-bas, en m’entraînant dans un bassin d’échauffement deux fois par jour. Ça a beau être des championnats d’Europe, on n’était pas en configuration équipe de France, chacun arrivait au compte-goutte selon ses courses. Une année olympique, on sait très bien que les Euros, tout le monde les brade un petit peu. Dix jours sur place à savoir que je ne pouvais pas améliorer mes temps, ce n’était pas facile.

Tu as ensuite embrayé avec la préparation pour les Jeux…

Après les Europe, là c’était différent. On a eu une semaine de coupure, et je suis reparti sur un gros cycle de travail, durant lequel je nageais très bien. Et puis aux Jeux, ça ne s’est pas passé comme prévu.

Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné ?

Déjà, le stress. Le fait d’en avoir pris plein la gueule toute l’année : « On ne mérite pas notre place ! On est repêché ! » Toutes ces polémiques. J’ai vraiment voulu prouver que je méritais d’être là… Et je suis finalement à 30 secondes de mon temps ! Un gros, gros coup au moral. D’autres éléments sont également entrés en ligne de compte, notamment le fait que je décide de partir de Toulouse, ce qui m’a coûté beaucoup d’influx nerveux. J’avais un super appartement, j’étais vraiment bien au club, où j’avais tous mes amis. J’y étais depuis quatre ans et j’ai toujours progressé régulièrement. Mais sportivement j’avais envie de changer, de découvrir quelque chose d’autre.

Ce changement de club est un peu surprenant sur le papier. Toulouse a plutôt de bons résultats sur le demi-fond, Marseille est moins réputé pour ça. Est-ce que tu vises une place dans le 4x100m NL en équipe de France ?

(Rires) Non, non. Plus sérieusement, Marseille m’a sollicité au printemps, ils m’ont dit qu’ils avaient un projet de demi-fond avec Mathieu Burban. Il ne voulait pas abandonner Paul Barascud, qui cette année a fait une énorme progression de 30 secondes sur 1500m (record personnel 15.22.95). Et puis d’autres jeunes, comme Oleg Garasymovytch et Jean Dencausse, qui seraient aussi potentiellement dans ce groupe, dédié à la jeunesse, une jeunesse en formation.

On m’a clairement dit : « Ce n’est pas parce que tu as fait les Jeux que tu es au haut niveau. Tu es encore en formation, tu n’es pas encore au très haut niveau. Il va falloir que tu sois régulier si tu veux passer un palier ». Tous ces jeunes, on a un peu le même objectif. Dans ce groupe, on est quatre, plus Clément Mignon et Cloé Hache, qui vient d’arriver elle aussi. Le groupe est scindé en deux, avec d’un côté les nageurs de spé davantage sprinters, et de l’autre Paul et moi qui sommes sur le demi-fond. Quand on va commencer à « charger », après les France petit bassin (fin novembre), on sera sur 60% de la quantification en commun, et le reste de la semaine ça sera du spécifique. Paul et moi on fera du très long, les autres du court, de la technique, dans leur spé.

Sun Yang et Gregorio Paltrinieri ont en commun cette fixation du coude,
cet alignement sur le haut du corps et un roulis des épaules énorme.

 

Parlons un peu technique. Quelque chose nous intrigue, ce sont les différences que l’on observe au plus haut niveau entre certains nageurs de 1500m. Entre le Chinois Sun Yang (recordman du monde, champion olympique 2012) et l’Italien Gregorio Paltrinieri (recordman d’Europe, champion olympique 2016), on a l’impression visuelle que ce n’est pas le même sport. Comment l’Italien arrive-t-il à nager si vite avec un style si peu académique ?

Parce qu’en réalité, tout se passe sous l’eau.

Ce matin à la fin de l’entrainement, Mathieu m’a demandé de sortir de l’eau pour faire un peu de technique et me faire comprendre comment je nage. On utilise la vidéo et il compare ma nage avec celle des plus grands nageurs, comme Ian Thorpe. Moi, à l’extérieur, oui, c’est beau. Mais dans l’eau il m’a clairement fait comprendre : « C’est nul ! ». (Rires) Bon, il ne me l’avait pas caché quand on s’était vu en stage plus tôt dans la saison, il m’avait dit clairement : « La technique, tout est à refaire ». Je ne pensais pourtant pas nager si mal que ça ! (Rires).

On en a beaucoup parlé ce matin, énormément de choses reposent sur la fixation du coude. Moi, par exemple, j’ai tendance à désaxer un peu quand j’allonge devant, je vais chercher légèrement croisé au tout début du mouvement, en face de ma tête, alors qu’il faudrait que je sois dans l’alignement de l’épaule. Cela m’empêche ensuite de pouvoir fixer correctement le coude. Or c’est cette fixation qui est essentielle si on veut performer au haut niveau.

Quand on regarde Paltrinieri, effectivement ses bras tournent dans tous les sens, il ne finit pas les poussées, devant ce n’est pas très grand. Par contre, il est tout de suite dans l’alignement, il casse le coude et ça tire. Et il est capable de répéter ce schéma à l’infini. Ses jambes sont elles aussi impressionnantes : il les plie et les croise même parfois, ce qui devrait le freiner mais en réalité c’est son modèle de nage. Le fait de plier les jambes, c’est précisément ce qui lui permet de garder son bras dans l’alignement, de casser le coude le plus près possible et d’avoir un appui monstrueux. Sun Yang c’est pareil, sauf que derrière il est aligné et qu’il utilise un peu plus ses jambes, mais pas énormément non plus. Ils ont en commun cette fixation du coude, cet alignement sur le haut du corps, et un roulis des épaules énorme.

L’autre différence qui saute aux yeux quand on les regarde tous les deux, c’est que Sun Yang est beaucoup plus régulier dans ses mouvements quand Paltrinieri semble avoir une nage plus saccadée. Comment tu interprètes ça ?

Ils ont chacun leur modèle de nage.

Plus on va se rapprocher du 50m, en sprint, plus on trouve des mouvements grands et profonds. Florent (Manaudou) par exemple nage bras tendus et même sous l’eau, ses bras sont pratiquement tendus. À l’opposé, Paltrinieri, ou Thorpe, qui était très impressionnant pour ça, ont le coude plié et très près du corps. Cette technique serait un handicap pour nager vite en sprint. Sun a pour sa part un angle plus ouvert, ce qui lui permet de nager plus rapidement sur une distance comme le 200m. Par contre, sur un 1500m, s’il n’est pas à 100% de sa forme, il explose, car il aura besoin de trop de force et ne pourra pas tenir la distance. C’est ce qui est arrivé aux Jeux : c’est passé sur le 200m et le 400m, mais il n’était pas suffisamment prêt pour un 1500m.

Toi, tu vas donc travailler avec Mathieu Burban sur cette question de fixation du coude ?

Oui. Pendant dix semaines on va travailler ça. Je dois d’abord apprendre à le faire en nageant doucement, ce qui ne sera déjà pas facile. Et puis l’appliquer en compétition, ce qui prendra énormément de temps. Mais si ça peut me faire nager plus vite dans plusieurs années…

Comment est-ce que vous allez travailler ça ? Avec des éducatifs ?

Pour le moment on a fait du travail d’observation vidéo, Mathieu m’a montré ce que faisaient les meilleurs. Et il m’a concocté des éducatifs pour les semaines qui viennent.

Au-delà de ce travail orienté autour de la technique, quels sont tes objectifs pour l’année à venir ?

Sportivement, ça va être une saison compliquée. J’ai une jambe en moins pour encore plusieurs semaines. Il va falloir que je retrouve toute ma caisse, puisque j’ai replongé un bon mois après mes concurrents. Le but c’est que je sois à 100% en janvier, pour pouvoir commencer le vrai travail. Le seul objectif qu’on a aujourd’hui avec Mathieu, c’est d’être prêt pour faire 100% de la quantification à ce moment-là.

L’objectif est le 1500m. Après j’aimerais énormément descendre sur le 400m, voire le 200m.
Intégrer le relais 4x200m de l’équipe de France, ça serait un rêve !

 

À plus long terme, ton objectif principal reste le 1500m ou tu as aussi des ambitions sur des distances plus courtes ?

A court terme, l’objectif est le 1500m. Après, j’aimerais énormément descendre sur le 400m, voire le 200m. Ce sont vraiment les courses que je préfère, celles où il y a du spectacle, où c’est beaucoup plus intense. Mais je ne suis pas encore sûr d’avoir les qualités requises. Je nagerai les distances où j’aurai le plus de chances de réussir.

En côtoyant à l’entrainement des nageurs de 200m, est-ce qu’intégrer le relais 4x200m de l’équipe de France peut devenir un objectif ?

Ça serait un rêve ! Cette année aux Jeux, on m’a d’ailleurs sollicité pour remplacer Yannick Agnel en séries, mais on s’est mis d’accord avec Damien (Joly) et c’est lui qui a finalement nagé. Nos records personnels sont proches, et je ne pensais pas être suffisamment prêt à trois jours du 1500m. J’aurais aimé ! Faire un relais olympique, pour un nageur de 1500m, c’est quelque chose d’énorme.

Et quelle place y a-t-il pour le 400m 4N au milieu de tout ça ?

Toujours la même. Tant que je progresse, que je prends du plaisir… Si un jour j’arrive à avoir un niveau intéressant, peut-être que je me poserai la question. Mais là, je ne me prépare pas spécialement, je fais du 4N quand j’en ai marre du crawl. Je peux faire quelques entrainements un peu différents dans la semaine. C’est intéressant, ça permet de travailler d’autres choses, différemment.

Il y a des nageurs de 1500m qui passent vers l’eau libre, toi tu restes focalisé sur le bassin ?  

Les nageurs d’eau libre, je suis avec passion leurs courses, je trouve ça spectaculaire, avec énormément de tactique. La stratégie, c’est un truc que j’adore, le duel que tu vas avoir avec un autre nageur, c’est présent aussi sur le 1500m. J’aime la confrontation plus que l’idée d’aller chercher un chrono. Mais je trouve que l’eau libre c’est vraiment un sport à part, ce n’est pas pour moi.

A l’entrainement, quel est le contenu des séances pour un nageur de 1500m ? Fais-tu beaucoup de travail de vitesse spécifique ou principalement du long pour accumuler du kilométrage ?

Ne nager que du long je n’aimerais pas. Quand c’est trop long ça m’ennuie et ma technique se dégrade, par manque de plaisir. Je prends davantage de plaisir à faire des 100m à la minute plutôt qu’à nager un 4000m à 1.06 de moyenne.

Je peux parler de ce que j’ai connu à Toulouse. En général en séries on travaillait à la vitesse du 400m, c’est le plus courant ; des séries de 10x100m par exemple, tu vas vraiment te faire plaisir, envoyer. À la vitesse du 1500m, un petit peu moins souvent ; ça peut être par exemple un 40x50m départ 40 secondes. Parfois on travaillait à la vitesse du 200m, mais c’était très court, quelques 50m, avec beaucoup plus de récupération ; et là, tu es avec tes potes, tu « bombardes ». Mais ça c’est en période de gros travail. Globalement, on travaillait beaucoup au seuil, en nageant à bonne allure pendant tout l’entrainement.

Avant d’aller à Toulouse, il y a quatre ans, j’avais hésité à rejoindre Antibes. C’était le gros club de ma région, le club pour lequel Franck Esposito était parti à son époque, le club qu’on admirait tous (comme Nicolas D’Oriano, Esposito avait débuté aux Cachalots de Six-Fours). Si j’y avais été, je me serais adapté au travail qu’ils font là-bas, qui est un travail complètement différent de celui effectué à Toulouse. À Antibes, il faut nager long, à des allures globalement moins rapides, puis subitement accélérer nettement, être capable de nager très vite.

On imagine que le volume d’entrainement varie beaucoup selon les périodes de la saison, les stages, l’affutage avant la compétition objectif.

En général en janvier je démarre facile, en montant progressivement le kilométrage. Sur les premiers meetings grand bassin de la saison, j’envoie généralement un 15.55 bien moche (sur 1500m) ! Je monte ensuite en puissance au fur et à mesure. Arrivé en période de stage (jusqu’à 100km hebdomadaires), là je m’envoie à fond, tout l’entrainement. Même de l’aérobie en dos, je vais me mettre à nager beaucoup plus vite que ce que je faisais avant. Je finis les stages avec des douleurs partout. Ça m’est arrivé de pleurer de douleur au début de l’entrainement et de continuer à forcer dessus, parce que je sais qu’au bout d’un moment la douleur tu l’apprivoises, tu ne la sens plus vraiment. En période d’affutage, ça redescend, jusqu’à 50km la dernière semaine.

A Marseille, je ne connais pas encore les volumes exacts, mais ça devrait être assez similaire, entre 70 et 100km par semaine selon les périodes.

À l’occasion des Jeux, pas mal de choses sont sorties concernant le dopage. Est-ce que c’est un problème auquel tu penses souvent ?

Ah oui, tout le temps ! Et encore plus en ayant participé aux Euros et aux Jeux cette année. Tu sais que tu nages avec des mecs qui auraient un niveau moyen qui se retrouvent dans les finales… On ne sait pas qui, mais on sait qu’il y en a, ça tombe de plus en plus. On parle beaucoup de la Russie, parce que c’est là-bas que ça sort, mais ils sont loin d’être les seuls. Camille (Lacourt) et Mack Horton (nageur australien champion olympique 2016 du 400m NL) ont poussé un gros coup de gueule cet été contre la Chine, et je pense que ce n’est pas à tort. Mais il ne s’agit pas de montrer du doigt un nageur en particulier, on voit qu’en Russie on a affaire à un dopage d’État. 99% des gens sont probablement propres, mais il reste 1%. On sait que certains se dopent, et c’est écœurant. Parce que toi tu te bats pour gagner, proprement.

C’est un élément qui a pu t’affecter au moment des Jeux ?

Ça non. Au contraire en fait. J’ai envie de gagner. Et si je veux gagner contre des mecs qui sont dopés, il faut que je sois encore plus fort. A la limite, ça me motive plus qu’autre chose, de toucher le mur devant un mec dopé. A l’arrivée il se dira : « Merde, je suis dopé, et je ne suis même pas sur le podium ! » Ça c’est une vraie motivation. On a envie de lui faire payer en quelque sorte.

Les médias ont tendance à voir seulement le court terme.
C’est à nous les jeunes d’écrire une nouvelle page, on en a largement les capacités.

 

Quel regard tu portes sur le traitement médiatique de la natation en France ?

Un regard très dur. Les médias ont tendance à voir seulement le court terme en disant : « Y a plus rien ! », en ne regardant que les podiums, sans s’attarder sur la valeur des perfs et la densité du niveau mondial.

On a aussi laissé d’autres sports tranquilles alors qu’ils n’avaient pas de résultats exceptionnels et qu’ils avaient une histoire bien plus riche que la natation. Par contre, nous, on existe collectivement au haut niveau depuis disons une petite douzaine d’années – sans critiquer ce qu’il s’est passé avant, mais il n’y avait pas ce vivier qu’on a aujourd’hui. On n’a pas une très longue histoire, on s’est souvent reposé sur des individualités. Ces dernières années, c’est différent, on a eu la chance d’avoir de vraies équipes. À présent, il va certainement falloir se reposer de nouveau sur des individualités, parce qu’on a perdu plusieurs leaders de l’équipe, comme Florent Manaudou, Yannick Agnel, Camille Lacourt, trois des grands noms qui avaient l’habitude de performer.

C’est aux jeunes de prendre la relève, mais il faut leur laisser le temps. Comme Mehdy (Metella), Clément (Mignon), ils n’ont pas trente-cinq ans (ils en ont bel et bien 24) ! Leur carrière est encore largement devant eux. Leurs vrais Jeux, ça sera dans quatre ans, c’était leurs premiers cette année. Je ne dis pas qu’on ne peut pas performer sur ses premiers Jeux ; Kyle Chalmers est devenu champion olympique à 18 ans (sur 100m NL). Mais en France, souvent, on prend le temps. À part en 2012, on a eu la chance d’avoir Yannick (Agnel) et Florent (Manaudou) qui étaient très jeunes, vingt et vingt-deux ans. En 2016, une page se tourne, et c’est à nous les jeunes d’écrire une nouvelle page. On en a largement les capacités. Elle ne sera peut-être pas aussi belle, mais elle peut quand même l’être !

Est-ce que tu te vois t’investir à plus long terme dans le milieu de la natation après ta carrière de nageur ?

Non. Une fois ma carrière terminée, je n’aurai pas particulièrement envie de rester dans ce milieu professionnellement. Je ne me vois pas coach, ni travailler à la fédé. J’ai d’autres envies, dans le commerce ou le management. Mais j’ai encore largement le temps devant moi pour décider, on ne sait jamais.

Ton passage sur France Télévisions lors des Euros comme consultant, ça te donne des idées ?

Consultant, c’est un moyen de garder un pied dans le monde de la natation, mais pas professionnellement. Ce n’est pas un métier, c’est une activité ponctuelle. France Télévisions avait proposé à l’équipe de prendre un demi-fondeur pour commenter la finale du 1500m, j’y suis allé. C’était cool, on voit les choses différemment. Pendant la course, ce n’est pas évident de prendre la parole à l’antenne alors qu’il y a Laure Manaudou et Alexandre (Boyon) juste à côté, ce n’est pas naturel du tout. Et puis on commente le 1500m dos au bassin, on regarde les écrans. Tu as Paltrinieri qui est en train de nager 14.34, et toi tu es dos au bassin ! T’as envie de leur dire : « Laissez-moi regarder, je commenterai après ! » (Rires) Mais c’était une belle expérience. J’ai essayé de compenser mon inexpérience des médias en apportant une analyse technique et sportive, même si ce n’est pas forcément ce que le grand public attend.

Un grand merci pour ta disponibilité. Nous espérons te revoir au plus vite dans les bassins en compétition !

J’aimerais beaucoup participer aux France petit bassin à Angers fin novembre, ne serait-ce que sur 100m ou 200m NL, pour accompagner mes partenaires d’entrainement. Mais je dois encore en discuter avec le coach !