En cette année olympique, les championnats de France de natation ont eu lieu dans une atmosphère particulière. Aux yeux des observateurs et de la plupart des nageurs de l’équipe de France, l’attribution des titres nationaux ne revêtait guère d’importance, ce qui comptait véritablement, c’était la course à la qualification pour les Jeux, « Road To Rio ».

Si au final 28 nageuses et nageurs ont été retenus pour les JO (en individuel et/ou en relais), tout au long de la semaine de compétition, bien peu de billets directement qualificatifs avaient été décrochés – 6 en tout et pour tout – ce qui n’a pas manqué de faire jaser une certaine presse qui ne s’est pas laissé prier pour décrire à longueur d’articles l’absurdité du système des minimas ou, et c’est nettement plus problématique, pour décrier le niveau supposément faible de la natation française. On a ainsi pu lire des commentaires qui pourraient faire sourire si leur portée n’était pas dénigrante, tels que : « On a assisté à une parodie de sélection. On retombe dans les travers dans lesquels était la natation française en 1996 » (lequipe.fr, édito vidéo, le 06/04/2016), ou encore  « Le constat est clair. A ce jour, nous avons peu de jeunes, peu de talents, peu d’avenir » (galaxienatation.com, éditorial, le 25/04/2016). A l’issue de la compétition, sans doute parce que la majeure partie des athlètes de l’équipe de France voyaient leur participation aux Jeux suspendue à la décision d’un comité de sélection, on avait presque le sentiment que ces championnats débouchaient sur un échec sportif pour la natation française, que les performances n’avaient globalement pas été à la hauteur des attentes élevées de la FFN, des médias, du public, et peut-être aussi de certains nageurs eux-mêmes.

A contrario, quelques jours après la fin des N1, à l’annonce de la liste officielle des sélectionnés pour Rio par le DTN, Jacques Favre, le son de cloche proposé était tout à fait différent. Terminée la soupe à la grimace. D’après le DTN, « (les meilleurs nageuses et nageurs français) ont véritablement inversé le niveau des championnats de France, entrainant dans leurs sillages l’ensemble de la natation française. » (Communiqué de presse de la FFN du mercredi 6 avril venant compléter l’annonce de la liste des sélectionnés olympiques pour Rio 2016). Un rapide détour par un dictionnaire nous renseigne que le verbe Inverser signifie « changer le sens de quelque chose, en lui faisant prendre une direction inverse », Inverse voulant dire « qui est opposé, par rapport à l’ordre, au sens, à la direction actuelle ou naturelle des choses ». Aurions-nous été aveuglés par le spectre des minimas olympiques au point de ne pas nous rendre compte que la natation française avait changé de dimension en l’espace d’une semaine de championnats ?

Alors, qui faut-il croire ? Des médias en quête de sensationnalisme ou une fédération cherchant à redorer son blason après la polémique sur l’exigence des minimas ?  Au lendemain des N1 et à quelques mois de l’échéance olympique, où se situe le niveau réel de la natation française ? Certainement pas dans « les travers dans lesquels elle était tombée en 1996 », pour autant, c’est sans doute aller bien vite en besogne que de parler d’ « inversion » des résultats quand la France se classait tout de même 6ème nation au tableau des médailles lors des derniers championnats du monde en 2015 (3ème lors des Jeux de Londres en 2012) !

Pour tenter d’y voir un peu plus clair dans cette bataille de communication dont on ne voit pas vraiment où elle pourrait nous mener de manière constructive, nous nous sommes penchés plus en détails sur les résultats chronométriques des championnats de France 2016 et les avons soumis au jeu de la comparaison avec les résultats de la natation française des années précédentes (période 2012-2015, c’est-à-dire depuis la dernière année olympique en date, une période durant laquelle la réglementation concernant les maillots de bain est restée similaire). Un petit exercice mathématique assez simple dont nous avions l’intuition qu’il pourrait nous permettre d’apporter certains éclairages sur ces questions complexes.

 

1 – Performances chronométriques des champions de France

 

Méthodologie : comparer le chrono réalisé en finale par chacun des champions de France 2016 (sur les épreuves inscrites au programme olympique) avec le chrono moyen réalisé par les champions de France sur ces mêmes épreuves sur la période 2012-2015.

 

 

En se concentrant sur l’étude des performances chronométriques des nageurs titrés pendant la semaine montpelliéraine sur les épreuves olympiques, la crème de la crème des « meilleurs nageuses et nageurs français », il ressort plusieurs éléments statistiques notables, puisque sur les 26 courses disputées :

  • 11 meilleures performances des championnats (période 2012-2016) ont été établies (42 %)
  • 16 titres ont été remportés grâce à la réalisation d’un record personnel (62 %)
  • 19 champions de France ont nagé plus vite que les chronos moyens des champions de France sur la période 2012-2015 (73%)

7 titres ont ainsi été décernés dans des chronos moins bons que le temps moyen du champion de France des années précédentes. En nage libre, cela tient pour bonne part à la retraite de Camille Muffat et à la méforme de Yannick Agnel, deux nageurs exceptionnels qui avaient porté les chronos de leurs disciplines favorites à des niveaux de potentiels champions olympiques qu’ils sont d’ailleurs devenus. On constate toutefois la baisse du niveau de la brasse masculine et du 200m dos, chez les filles comme chez les garçons.

Chez les filles, la tendance est à la progression dans toutes les autres disciplines. Chez les garçons, les progrès sont très nets en nage libre (sprint et demi-fond), mais aussi en papillon et en « quatre nages ».

Ces chiffres viennent balayer d’un revers de main le discours des déclinistes mais ne mettent pas non plus en évidence une « inversion », plutôt une tendance globale à la progression, ce qui est à la fois normal et rassurant à l’issue d’un cycle olympique de quatre ans l’année de la compétition objectif. Il aurait été illogique et inquiétant que les leaders de la natation française ne soient pas au meilleur de leur forme l’année des Jeux.

Ceci étant dit, ces chiffres à eux-seuls ne démontrent pas grand-chose. S’en tenir à l’analyse des résultats des champions de France n’est pas tellement significatif pour mesurer l’état global de la natation course française. Ces données concentrées sur une seule individualité par épreuve sont bien trop dépendantes de la présence ou de l’état de forme d’un champion d’envergure (on le voit avec les cas Muffat et Agnel, notamment). Pour mesurer les progrès globaux de la natation française, il nous faut donc affiner notre analyse.

2 – Performances chronométriques des 8ème et 20ème places françaises

 

Méthodologie : comparer les chronos des 8èmes (équivalent théorique d’un temps d’entrée en finale A) et 20èmes français aux ranking FFN 2016 à l’issue des championnats de France (sur l’ensemble des épreuves disputées aux N1) avec les chronos moyens réalisé par les 8èmes et 20èmes français sur ces mêmes épreuves les années précédentes (ranking FFN période 2012-2015).

Nous avons fait le choix de prendre les rankings FFN comme indicateurs pour rendre l’analyse encore plus pertinente, certains nageurs ne disputant pas nécessairement toutes les épreuves qu’ils affectionnent lors des N1 en fonction de leur programme (Florent Manaudou n’a par exemple pas disputé le 50m papillon à Montpellier alors qu’il occupe la tête du bilan français et qu’il aurait « probablement » remporté le titre s’il s’était aligné sur la distance). Toutefois, à ce stade de la saison, l’essentiel des performances du top 8 et du top 20 français ont été réalisées à Montpellier à l’occasion des N1, premier grand objectif de l’année pour l’ensemble des nageurs. L’indicateur nous semble donc tout à fait pertinent pour mesurer le niveau de performance global de cette compétition. Il faut préciser que pour les autres années (2012-2015), les résultats tiennent compte de l’ensemble des saisons sportives, dont les compétitions internationales et les championnats nationaux d’été.

 

 

 

En se focalisant sur l’analyse des performances chronométriques des nageuses et nageurs du top 8 et du top 20 français, ces nageurs « entrainés dans le sillage des meilleurs nageurs et nageuses français », pour reprendre les mots de Jacques Favre, on remarque que sur les 34 épreuves disputées aux championnats de France :

  • Pour l’accession au top 8, 7 épreuves n’ont jamais été nagées aussi vite que cette année (21%)
  • Pour l’accession au top 8, 21 épreuves ont été nagées plus rapidement que le chrono moyen réalisé sur la période précédente (62%)
  • Pour l’accession au top 20, même proportion, 7 épreuves n’ont jamais été nagées aussi vite que cette année (21%)
  • Pour l’accession au top 20, 17 épreuves ont été nagées plus rapidement que le chrono moyen réalisé sur la période précédente (50%)

Alors que les compétitions internationales et les championnats nationaux d’été sont encore à venir, ces chiffres démontrent un état de forme général d’un niveau inédit pour cette époque de l’année, et tendent donc à confirmer les dires du DTN.

Si l’on regarde dans le détail, on s’aperçoit que chez les filles le niveau global de la nage libre, de la brasse, et du dos (à un degré moindre) est en progrès, quand dans le même temps celui du papillon et du « 4 nages » (dans une moindre mesure) semble s’affaisser. Chez les garçons, les tendances sont différentes. Le sprint nage libre n’a jamais connu une telle densité à ce niveau de performance, de même que le papillon. On note également une densification du niveau en dos et en « quatre nages ». En revanche, le niveau du demi-fond en nage libre et de la brasse est en recul.

Ces analyses sont bien entendu à prendre avec des pincettes, puisque la saison 2016 est très loin d’être terminée. Il ne fait aucun doute que le niveau global dans la plupart des épreuves devrait encore progresser d’ici la fin de l’année. Il est donc d’autant plus remarquable de voir que dès le mois d’avril certaines disciplines apparaissent déjà en nets progrès (nage libre et brasse chez les filles, sprint nage libre et papillon chez les garçons).

3 – Performances chronométriques des jeunes (17 ans et moins)

 

Méthodologie : comparer les chronos des meilleures performances françaises 17 ans et moins réalisées en 2016 à l’issue des championnats de France (sur l’ensemble des épreuves des N1) avec les chronos moyens des meilleures performances françaises 17 ans et moins réalisées les années précédentes sur ces mêmes épreuves (ranking FFN période 2012-2015).

 

 

Sur les 34 épreuves disputées aux championnats de France :

  • 8 MPF 17 ans et moins (période 2012-2016) ont été établies (24%)
  • 19 épreuves ont été nagées dans un chrono inférieur au temps moyen de la MPF 17 ans et moins sur la période 2012-2105 (56%)

Comme pour les paragraphes précédents, il faut analyser ces chiffres avec prudence, puisque ces données dépendent largement de la présence ou de l’état de forme de quelques individualités (pour exemples, à Montpellier, K-Ryls Miatti, malade, n’a pas réellement pu défendre ses chances, Pauline Mahieu ou encore Tanguy Lesparre ont nagé loin de leurs standards chronométriques habituels). Il faut surtout tenir compte du fait que la saison est loin d’être terminée, et qu’à ces âges où les nageurs progressent rapidement, les données devraient être encore largement chamboulées d’ici la fin de la saison.

En tenant compte de ces biais, on peut toutefois relever quelques éléments dignes d’intérêt, et affirmer d’entrée de jeu que pour cette époque précoce de la saison, le niveau de nos meilleurs jeunes est déjà remarquable.

Chez les filles, c’est notamment le cas en demi-fond, en dos, en brasse, et surtout en « 4 nages ». Chez les garçons, comme chez les seniors, le niveau du sprint en nage libre n’a jamais été aussi élevé, tout comme en dos et en papillon (avec trois nageurs différents sur les trois distances dans cette dernière discipline !).

Attention toutefois à ne pas accorder trop d’importance à ces performances jeunes. Si l’objectif ultime pour cette génération de nageur est l’échéance olympique de Tokyo 2020, voire celle de 2024, il ne faut pas oublier que d’autres nageurs aujourd’hui dans l’ombre ne manqueront pas d’émerger d’ici là, des nageurs à « maturation lente », pour reprendre une expression à la mode, dont les performances nous échappent aujourd’hui et dont on ne peut de facto pas évaluer la marge de progression. Le potentiel de nos jeunes et donc de la natation française à plus long terme ne peut en aucun cas se lire sur ce simple tableau. Ainsi, faire le constat à la lecture des seuls résultats des N1 qu’ « à ce jour, nous avons peu de jeunes, peu de talents, peu d’avenir » n’est pas correct.

Conclusion générale

Que ressort-il de cet exercice statistique comparatif ?

D’abord que le très haut niveau français n’a globalement jamais été aussi performant à cette époque de l’année. Ensuite que le niveau global des championnats augmente, qu’on assiste à une densification du niveau sur la plupart des épreuves.

On constate toutefois des tendances différentes selon les sexes et les disciplines  :

  • Chez les filles, le niveau global augmente de manière significative en nage libre (sprint et demi-fond) et en brasse (où l’on observe mécaniquement un effet rebond, cette spécialité ayant été relativement faible ces dernières années). En revanche, le niveau du papillon semble en nette baisse, ce à presque tous les échelons de la grille d’analyse.
  • Chez les garçons, le niveau du sprint en nage libre n’a jamais été aussi élevé, alors que le papillon affiche des progrès étonnants à tous les étages (champions de France, top 8, top 20, jeunes, du 50m au 200m). A l’inverse, le niveau de la brasse est en baisse quasi généralisée.

Il convient surtout de ne pas porter de jugements péremptoires (dans un sens laudatif ou dépréciatif) sur ces chiffres. En effet ceux-ci dépendent en grande partie d’aléas conjoncturels (comme la forme du moment des têtes d’affiche, on pense à Giacomo Perez Dortona pour la brasse masculine) et du calendrier sportif (il est encore très tôt dans la saison). Précisons aussi que certaines épreuves, bien qu’en gros progrès (mentionnons ici encore la brasse féminine pour exemple), sont encore loin du très haut niveau mondial (article à venir sur notre site).

La véritable question à se poser à ce stade de l’année 2016, à maintenant 100 jours des Jeux, est de savoir si les nageurs de l’équipe de France olympique seront capables d’élever leur niveau d’ici l’été. Le DTN s’est félicité d’avoir poussé les leaders de la natation française à nager plus vite que jamais pour un mois d’avril (et c’est objectivement vrai !), mais le jeu n’en aura valu la chandelle seulement si ces mêmes nageurs se trouvent capables de rééditer ces performances voire d’aller encore plus vite à Rio. Car ne nous trompons pas d’objectif, dans une année comme celle-ci, rien ne sert de nager vite en avril, il faut partir à point au coup de sifflet du départ de la finale olympique.