Thibault et Pauline sont deux de nos amis proches. À ce titre, ils ont dû subir plus d’une conversation obscure sur la natation au cours de ces dernières années. Nous avions tenté de faire amende honorable en leur expliquant le fonctionnement général des N1. Aujourd’hui, on se tourne vers un aspect plus spécifique : la récupération.
Que font les nageurs une fois qu’ils ont terminé leur course, sont sortis du champ de vision des spectateurs et du cadre de la caméra ? Comment récupèrent-ils de leurs efforts et se mettent-ils dans les meilleures dispositions pour prendre un nouveau départ l’après-midi ou le lendemain ? Focus sur ces aspects invisibles qui peuvent cependant s’avérer déterminants, en particulier sur une compétition aussi longue que les N1.
Si vraiment vous devez affronter l’un des participants de ces championnats, nous vous conseillons de le faire dans le bassin de récupération. Après chacune de leurs épreuves, nageuses et nageurs y enchainent les longueurs à faible intensité. À Montpellier, ce bassin de 25m est situé en surplomb du bassin principal.

Le bassin de récupération. Au premier plan, un nageur se fait masser après une course. (Photo : Pascale Berthoud, merci !)
Première interrogation : faut-il démarrer la récupération le plus rapidement possible après la course ?
Si l’on en croit le comportement de la majeure partie des concurrents des séries de ce jeudi matin, la première étape est un rapide débriefing avec l’entraîneur. Robin Pla, assistant coach au pôle natation de l’Insep et doctorant en physiologie du sport pour la FFN, explique :
Il faut effectuer un arbitrage entre récupérer rapidement et échanger efficacement les informations. On sait qu’en sport, plus le retour d’information est rapide, mieux l’information passe. L’aspect psychologique est également important : en cas de contre-performance, le nageur peut avoir besoin d’un soutien immédiat.

Mélanie Hénique débriefe sa série du 50m NL (4e temps en 25.35) avec Romain Barnier, sur le chemin du bassin de récupération
Certains n’ont cependant pas de difficulté à reporter ce premier échange à plus tard. C’est le cas de Romain Béraud, international français en eau libre, qui se contente des 1500m et 400m 4N dans les bassins :
C’est sûr que si je parle à mon entraîneur 3 heures après, je n’aurais plus les sensations en tête. Mais cela ne me pose pas de problème de le faire une demi-heure après, j’arrive bien à me remettre dans ma course.

Romain Béraud et son entraîneur Gwen Bordais (Grenoble Natation)
Seconde interrogation : nager pour récupérer, d’accord, mais comment ?
L’observateur qui se promène autour du bassin de récupération ne peut qu’être frappé par la différence d’intensité entre ce qui s’y déroule et le rythme des courses en contrebas. On y voit beaucoup de dos à deux bras et autant de nageurs debout qu’en action. Ces discussions sont visiblement peu au goût des entraîneurs dont certains interviennent périodiquement pour tenter de faire régner un semblant d’ordre. Par peur des représailles, on taira leurs noms. C’est donc ça, « récupérer » ? Ça n’a franchement pas l’air bien compliqué.
Nous demandons des éclaircissements à Romain Béraud :
Au début, je fais 300m durant lesquels je ne fais rien du tout. Ensuite j’aime bien faire des 50m légérement appuyés, en 31 secondes environ. J’alterne un 50m comme ça et ensuite 50m ou 75m en dos, puis je répète le tout trois ou quatre fois. Le but est de resolliciter très légérement le système pour synthétiser l’acide lactique et ainsi l’éliminer plus facilement.
Quelle est la place de l’entraineur durant l’opération ?
Très variable selon les cas. Pour Robin Pla :
L’entraîneur demande en général à chaque nageur la distance qu’il a effectuée en récupération, afin d’exercer un contrôle indirect. Certains se contentent de 400m, ce qui à mon sens n’est pas assez, d’autres ont l’habitude de nager plus. Mais ce sont des athlètes de haut niveau, dont on attend qu’ils soient capables d’évoluer en autonomie. C’est d’abord à eux de s’adapter en fonction de leur état de forme et de leur ressenti.

Robin Pla et Quentin Belleaume (kiné du CN Paris et du CNO St-Germain-en-Laye) sur la troisième marche du podium
Romain Béraud confirme ce dernier point :
J’arrive tout de suite à savoir si j’ai assez récupéré. Certains planifient tout, de mon côté, avec l’expérience, j’arrive à évaluer où j’en suis, ce dont j’ai besoin. Les routines peuvent êtres utiles pour évacuer le stress, mais de mon côté je fonctionne d’abord à la sensation.
Mais ces variations ne résultent pas seulement de préférences individuelles, elles reflètent également les différentes morphologies et les différents types d’effort en fonction des épreuves :
Les sprinteurs [note de N1nside : les nageurs de 50 et 100m. Bon, certains ne font que du 50m, et encore ils vous diront que les derniers mètres sont difficiles], qui sont souvent très musculeux, ont besoin de beaucoup récupérer. Moi qui ne le suis pas, je n’ai pas besoin de nager 2 km après ma course. D’ailleurs, dans mon cas, l’aspect essentiel, c’est l’alimentation, refaire des réserves énergétiques. La première chose que j’ai faite ce matin après ma série du 400m 4N, c’est de prendre deux compotes. J’en ai mangé une immédiatement et une pendant que je nageais dans le petit bain.
Robin Pla explique :
Ce qui est important, c’est de multiplier les moyens de récupération, sans se limiter au passage dans le bassin de 25m : massage par le kiné ou l’ostéopathe, bains froids ou chauds, voire yoga et exercices de respiration. Un autre élément important est de bien maîtriser les temps de sieste.
Massage, yoga, sieste ? Tout cela ne fait pas très sérieux. En cherchant un peu, on a effectivement repéré de nombreuses tables de massage.

Puisqu’on vous assure que la natation est un sport extrêmement exigeant !
Mais une nouvelle fois, l’intérêt de la chose varie selon les profils des nageurs. En gros, plus on est musclé, plus l’après course est compliqué et plus le passage sur la table s’avère utile. Romain Béraud confie :
Je profite des kinés parce qu’ils sont là, mais honnêtement, dans mon cas, ce n’est pas essentiel.
Du côté de Robin Pla et de l’Insep, le kiné est en revanche très demandé :
Nous disposons d’un kiné pour 16 nageurs et on s’aperçoit que c’est un peu juste, surtout avec ce type de programme : certains nageurs ont terminé leur matinée à 10h et rentrent à l’hôtel, tandis que ceux qui nagent en seconde session restent au bord du bassin. Cela pose un problème logistique puisque le kiné ne peut évidemment pas être aux deux endroits en même temps.
Par contre, on a longtemps cherché, mais pas moyen de trouver d’adeptes du yoga. Les nageurs français ne semblent pas vraiment prendre la récupération au sérieux.
Bien récupérer, c’est essentiel pour…bien renager !
En natation, comme dans de nombreux autres sports de chrono, on dispute d’abord des séries, puis (éventuellement) une finale. Comment gère-t-on le fait de devoir nager deux fois la même épreuve dans une journée ? Lorsque l’on est largement favori, on peut se permettre de gérer en série, afin de préserver ses forces (et ainsi faciliter la récupération, vous suivez ?). Ce jeudi matin, cela a par exemple été le cas de Jordan Coehlo et de Lara Grangeon, tous deux sur 200m papillon. Romain Béraud a pour sa part pris la 13e place des séries du 400m 4N (4.32.74) et s’est qualifié pour la finale « B », réservée aux nageurs classés entre la 9e et la 16e place. Dans son cas, pas de calcul :
J’ai fait ma série à fond, parce que je savais que le niveau serait assez dense. Nous sommes 11 en 6 secondes, ce qui sur un 400m est relativement serré. Cet après-midi je vais me rééchauffer longuement, parce que les séries étaient tôt ce matin. Si j’avais nagé en fin de réunion, vers 13h, l’échauffement de l’après midi aurait été plus court. J’adapte beaucoup en fonction de l’écart entre les deux courses. D’autant que je dormirai peut-être dans l’après-midi. Il y aura un gros relâchement et donc la nécessité de réveiller l’organisme.
Même lorsque l’on a tout donné en série, la finale permet souvent de grapiller un peu de temps :
Je pense que nous allons tous nager un peu plus vite cet après midi, car 9h30, c’est tôt, surtout pour une telle épreuve. Par ailleurs, l’équilibre de ma course ne sera pas forcément le même. Sur 400m 4N, Il ne faut pas s’affoler : je sais que si je perds une seconde en papillon, je la regagnerai peut-être en dos. J’essaye donc d’abord de me concentrer sur des points techniques, plutôt que de me fixer des chronos à respecter dans chaque nage. Ce matin, la brasse n’allait pas du tout, je n’ai pas trouvé la bonne coordination.

Romain Béraud, en difficulté sur le parcours de brasse en série du 400 4N
La finale du soir confirmera ses dires en tout point : parti moins vite en papillon et en dos, il améliore son chrono final de deux secondes et demie (4.30.25) grâce à des parcours de brasse et de crawl nettement plus efficaces. Romain, qui nage désormais beaucoup moins qu’auparavant, demeure à bonne distance de son record personnel (4.24.38), établi en 2012 à Dunkerque, lorsqu’il avait décroché la médaille de bronze des championnats de France.
Les épreuves que dispute un nageur ne sont pas la seule source de fatigue potentielle. Paradoxalement, il peut également perdre de l’énergie à cause…des courses des autres ! C’est encore plus le cas les années olympiques, comme à Montpellier, lorsque les finales se transforment en course à la qualification. Robin Pla témoigne :
L’après-midi, nombreux sont ceux qui se muent en spectateurs, en particulier chez les plus jeunes, alors que ce sont des moments où ils devraient se reposer. Ils ont envie de voir les finales, de profiter de l’événement ou simplement d’encourager un ami. C’est difficile de le leur reprocher, mais ce sont des temps de récupération perdus et sur six jours, cela peut se payer en fin de championnats.

L’après midi, certains nageurs se muent en spectateurs
Bien, vous avez tout retenu ? On vous attend dans le bassin de récup’.
Merci à Robin Pla et Romain Béraud pour leur disponiblité !
Excellent !
Argh, pas pu venir vous rejoindre ce vendredi …
c’est bien de connaître la suite dune course donc la récup. c’est important….
Merci, pour cet article qui permet de mieux aborder et donne des réponses, sur la gestion de la récupération, lors des petites et grandes compétitions.
Merci !